© Mathilda Olmi

Combien de fois, chaque jour, un adolescent se photographie-t-il avec son smartphone? Comment se met-il en scène sur les réseaux sociaux et quel rapport entretient-il avec son image sur Internet?

L’atelier «Mes identités numériques», créé par le Fotomuseum de Winterthur, explore ces thèmes auprès des élèves de 12 à 15 ans. «Nous leur proposons d’avoir une réflexion critique sur les photographies que nous produisons, sur nos droits lorsque nous les postons sur des applications», explique Sophie Clément, médiatrice culturelle à Photo Elysée. L’atelier consiste en un débat, une conversation à laquelle chacun prend part librement.

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Les modes changent très vite sur le net. Vu leur âge, aucun des participants ou presque ne possède de compte sur Facebook, réservé à leurs parents et grands-parents. «Les jeunes utilisateurs plébiscitent TikTok et Snapchat, parfois Instagram. On a pu constater l’obsolescence affolante des réseaux, nouveaux et déjà démodés», poursuit Sophie Clément.

Difficile, pour les élèves, de définir l’impact des médias sociaux sur leur manière d’utiliser la photographie. Ils sont quasiment nés avec. Sophie Clément précise: «Lorsqu’on leur demande à quoi ressemblait la photographie il y a vingt ans, ils évoquent les albums de leurs parents. Mais certains connaissent les techniques anciennes, ils ont visité le Musée suisse de l’appareil photographique, à Vevey.»

Selon eux, les premiers autoportraits datent «du début des smartphones». Pourtant, en 1840 déjà, Hippolyte Bayard réalisait L’autoportrait en noyé, un cliché considéré, en photographie, comme la première mise en scène de soi. Les participants sont amenés à réfléchir sur la façon dont ils se mettent en scène, notamment sur le recours à des filtres qui «embellissent» les visages. Quelle image cherchent-ils à transmettre? Les selfies sont porteurs d’idéologie et de stéréotypes; ils doivent souvent correspondre à une idée précise de la beauté et du corps parfait… Cette thématique est interrogée par les regards décalés de trois artistes, qui ont tous critiqué avec humour les injonctions des réseaux sociaux.

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Andy Kassier a créé une performance sur Instagram baptisée Success is just a smile away, se moquant de la quête du selfie idéal, susceptible de rapporter le plus de «like» possible. Par le biais de «tuto», l’artiste pousse notre soif d’autopromotion jusqu’à la caricature. De son côté, la chanteuse américaine Dolly Parton s’est fait remarquer en lançant un challenge repris par d’autres stars américaines et par le grand public, mettant en évidence les codes auxquels l’utilisateur doit se plier pour correspondre aux différents réseaux (portrait «professionnel» et sérieux sur LinkedIn, décontracté et familial sur Facebook, sexy sur Tinder ou plus glamour sur Instagram…).

«Le Dolly Parton challenge ne parle pas beaucoup aux participants, précise Sophie Clément. Il est intéressant de constater qu’ils ne vont sur (presque) aucun de ces réseaux sociaux «classiques». A leur âge, ils n’ont pas encore conscience de devoir adopter des profils différents selon les plateformes. Ils ont l’impression de toujours être «eux-mêmes», ne ressentent pas la nécessité de devoir particulièrement s’adapter à un contexte.» Mais Celeste Barber, «actrice, comédienne, auteure et dame», critiquant le manque de diversité dans la représentation de la beauté féminine, rencontre un franc succès chez les participants. Son travail provoque des rires et délie les langues.

L’atelier s’achève en évoquant la protection des données, monétisées par des courtiers qui les analysent pour en tirer profit. Difficile de connaitre ses droits, dans la jungle des règlements édictés par les géants du numérique, comme le montre l’artiste Dima Yarovinsky avec son installation I agree, déroulant les interminables conditions générales que l’utilisateur des plateformes est censé lire et doit in fine accepter.

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«Chez beaucoup de participants, se photographier et poster son image est lié à l’amitié. Les photos sont réalisées dans le cadre de groupes d’amis. Il y a encore parfois, à cet âge, une forme de liberté, touchante, loin des injonctions de la perfection ou des stéréotypes genrés. Liberté de se montrer tel que l’on est, sans chercher à plaire forcément. Mais cela dépend d’une classe à l’autre, des milieux sociaux et culturels des élèves, de ce qui leur a été transmis. On ne peut pas faire de généralités», conclut Sophie Clément.

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