©Eddy Mottaz / Le Temps

«Y a-t-il des objets avec lesquels vous désirez poser?» Pascale Pahud n’a pas hésité longtemps avant de sortir l’une des boites du fond Ella Maillart. Des clichés d’Afghanistan, des Bouddhas de Bâmiyân pour être précis, bien avant que les Talibans n’effacent à la dynamite leurs visages millénaires. Elle manie les images avec précaution dans des gants couleur pervenche. «J’ai de la chance, c’est ma couleur préférée», annonce-t-elle avec entrain en les enfilant. Entre ses doigts, les souvenirs d’innombrables périples d’une des plus célèbres écrivaines voyageuses helvétiques. On sent le profond amour que porte Pascale Pahud à ces images, qu’elle a pourtant dû admirer des centaines de fois.

70’000 images plus tard

Toujours conserver une part d’émerveillement, voilà peut-être l’un des secrets de la longévité de Pascale Pahud à Photo Elysée. Car elle fait aujourd’hui en quelque sorte partie des murs de l’institution. C’est bien simple, elle est la plus ancienne collaboratrice du musée. Arrivée en 1987, deux ans seulement après l’ouverture des portes sous l’impulsion de Charles-Henri Favrod, elle aura rencontré toutes les directions, connu un déménagement et le baptême de Photo Elysée. Et par chance, Pascale Pahud a une sacrée mémoire, ce qui est précieux car, avec leur mission patrimoniale, les musées travaillent sur le temps long. Avant de devenir documentaliste et de s’occuper des demandes de reproduction et des droits, elle était assignée au montage des expositions, puis à l’indexation des images, qu’elle rentrait dans une base de données afin de leur offrir une identité: «Je me rappelle encore du cliché numéro un, c’était une photographie du Château de Chillon immortalisé par Adolphe Braun.» Ni une ni deux, Pascale Pahud s’empare avec assurance de son clavier d’ordinateur. Quelques clics plus tard apparait sur l’écran une forteresse aux teints sépias. «Aujourd’hui, nous avons dépassé les 70’000 images indexées, et je suis toujours là…», sourit-elle, un brin nostalgique.

Une précieuse boîte du fonds Ella Mallart. ©Eddy Mottaz / Le Temps

Lausannoise pure souche, elle a étudié aux Beaux-Arts avec la gravure comme technique de prédilection. Une première rencontre avec le monde artistique qui a fait long feu: «Quand j’ai fini mes études, je me suis rendue compte que ce milieu ne m’apportait pas ce que j’en attendais. Si c’était à refaire, j’opterais pour un travail non pas de création, mais plus documentaire, ou alors pour un métier dans lequel je me sentirais plus utile, plus proche des gens.» Virage à 180 degrés au tout début des années 1980. Pascale Pahud quitte les tons sombres de la gravure pour les justaucorps fluos de cette faste période pour l’aérobic. Elle sera professeure de fitness durant deux ans: «Il fallait que je gagne ma vie à cette époque. J’ai même été prof de danse. Mais je n’ai jamais arrêté le sport, même en arrivant à l’Elysée!» Une vie en mouvement pour Pascale Pahud: cours de hip-hop, yoga, salsa cubaine, chant au chœur de la Cité, capoeira avec ses deux filles, ou encore voile en Méditerranée avec son mari. Sa vie privée ne semble ressembler en rien à celle qu’elle mène dans son bureau de l’Elysée, plutôt sédentaire: «Je détesterais n’avoir qu’une vie. Pour que je puisse continuer à être heureuse le nez plongé dans les images, il faut que je puisse m’évader en dehors de mon travail.»

Une vie à Samarcande

Comme nombre de ses collègues, elle arrive à Photo Elysée un peu par hasard, et surtout après un grand voyage qui l’amène en Afrique de l’Ouest. Elle sillonne durant trois mois le Togo, le Ghana et le Burkina Faso. De son propre aveu, le choc fut violent, tant émotionnel que physique. Malade, elle rentrera en Suisse persuadée que «l’Afrique de l’Ouest, c’est fait». Cette expérience ne la dégoutera cependant pas des terres lointaines. Elle s’envolera plus tard au Chili, en Argentine, là où l’une de ses filles a décidé de s’installer pendant quelques années, écoutera les appels à la prière des mosquées d’Istanbul ou encore foulera la route de la soie en Ouzbékistan. Une révélation: «J’ai découvert Samarcande au fil des pages du roman éponyme d’Amin Maalouf. Il fallait que je m’y rende, c’était presque une nécessité. En arrivant sur place, j’ai été subjuguée par l’architecture musulmane et ces façades de mosaïques aux teintes bleutées. J’avais l’impression d’avoir eu une vie antérieure là-bas.»

Son premier jour à l’Elysée, elle s’en souvient bien: une présentation des équipes, mais surtout une soirée de vernissage chaleureuse dans un restaurant de la place de la Palud. Elle découvre un monde fascinant, à l’opposé absolu de son passé de prof de fitness: «Parfois j’ai l’impression d’avoir une vie à la limite de la schizophrénie, dit-elle en riant de bon cœur. Mais j’ai toujours bien compartimenté mes différentes passions.» Avec Charles-Henri Favrod à la barre, elle se remémore un musée de tous les possibles. Une énergie sans borne, et des rencontres avec de célébrissimes photographes venant du monde entier alors qu’elle n’a que 25 ans. «J’ai un souvenir très précis de Don McCullin, un photographe britannique. Il a couvert de nombreux conflits dans le monde entier qui l’ont passablement marqués. Aujourd’hui, il s’est concentré sur les paysages, dénués de traces humaines, certes sombres, mais magnifiques et reposants. Je l’avais trouvé très touchant dans la manière de parler de son travail». Plus le temps passe, plus il est compliqué pour elle de retrouver cette proximité avec les photographes. Le musée a grandi, muri, s’est complexifié. Elle regrette un peu cette organisation devenue aujourd’hui plus verticale, qui a rendu les rapports entre les gens plus compliqués.

Bouvier et Maillart à la rescousse

Son parcours à l’Elysée ne fut pas un long fleuve tranquille. Diverses frustrations ont émaillé son travail de documentaliste. Un manque de reconnaissance parfois et une institution qui, selon elle, s’est progressivement transformée en une entreprise. «Les fonds Ella Maillart et Nicolas Bouvier m’ont sauvé, affirme-t-elle, mi-sérieuse, mi-ironique. Ce furent deux incroyables rencontres avec les familles et les ayants droits. Elle était solide, terrienne, des yeux bleus perçants; lui, c’était tout le contraire, un homme passionné et un conteur formidable.» Pascale Pahud ira jusqu’à monter une exposition des photographies de l’auteur de l’usage du monde dans l’une des succursales d’UBS et au Manoir de Cologny à Genève. «J’aurais été très triste de quitter le musée sans faire quelque chose de concret avec ce fonds. Avoir été au bout de ce projet m’a permis de travailler plus sereinement par la suite.» Elle ne veut cependant résumer son parcours à l’Elysée à ces deux fonds. Nombre de photographes ont illuminé sa carrière. Le travail de Marco Giacomelli lui est par exemple très cher, notamment ses clichés des plages de Senigallia aux noirs d’encre et aux blancs aveuglants qui lui rappelle son apprentissage de la gravure.

Et la fin à Photo Elysée, y pense-t-elle seulement? «Oui, elle se rapproche à grands pas. Mais je n’ai aucun regret. Je sens que j’arrive doucement au bout de quelque chose.» Le déménagement, elle avoue avoir de la peine à s’y investir. Sa relation avec l’Elysée a commencé et s’arrêtera entre les murs de la maison de maître qui surplombe le Léman. L’écrin flambant neuf du quartier des arts et le concept de tout rassembler au même endroit est une idée qui ne l’enchante guère, mais elle précise qu’elle fera quand même le voyage à Plateforme 10, avec bonne humeur et sérénité.

Et la suite? «J’ai envie d’apprendre un instrument de musique et de voyager», ponctue-elle avec un large sourire. On s’en serait douté. Le rêve d’une vie au bord de l’océan aussi, malgré ce Léman qu’elle aime tant mais à qui «il manque une dimension». Presque un affront pour ces eaux qu’elle a contemplées pendant plus de 30 ans depuis le parc de l’Elysée. Elle se promet encore de découvrir l’Iran, histoire de continuer sa quête d’art islamique. Des rêves et des projets plein la tête, avec une certitude: la retraite ne sera que le début d’une nouvelle aventure.

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1 commentaire

  1. Peverelli Reply

    Votre institution célèbre la photographie
    Vous faites un portrait photographique et ecrit d’une personne
    Et la photo, le portrait photographique, est entièrement recouvert de typographie.
    Tout est dit en un simple geste.

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