©Anthony Rochat et Alain Ganguillet

Des séries à la limite de l’obsessionnel, l’histoire de l’art en regorge. On pense notamment aux Nymphéas ou à la Cathédrale de Rouen de Monet, à la Montagne Sainte-Victoire de Cézanne ou aux Coupelles tauromachiques de Picasso pour certaines des plus connues. D’autres paysages ou monuments ont eu les grâces de peintres de renom, mais plus rares sont les sujets ayant eu le même honneur en photographie. La Cathédrale de Lausanne, elle, a eu droit à son admirateur secret. Et l’adjectif n’est ici pas galvaudé.

Photo Elysée a récemment redécouvert au sein de ses collections une série de près d’un millier de Polaroïds, 908 pour être précis, léguée par Olivier Charles (1931-2013), peintre, dessinateur et céramiste lausannois. Offertes de son vivant, les deux boîtes à chaussures qui contenaient l’ensemble sont restées oubliées pendant plusieurs années avant d’être reconditionnées selon les normes de conservation préventive en 2019. En l’absence de descendance, c’est l’une de ses amies qui est venue confirmer qu’Olivier Charles en était bien l’auteur. Car le musée a beau disposer de six boîtes remplies de clichés, le mystère reste entier autour de cette œuvre. Enfin presque.

Un mystère à percer

L’institution détient quand même certaines informations. Nous avons donc l’auteur et le type de photographie, et nous avons aussi le sujet: la Cathédrale de Lausanne, évidemment. Mais c’est à peu près tout. Fanny Brülhart, collaboratrice scientifique au département des collections, tente néanmoins de faire un peu de lumière sur ces images: «Déjà, elles témoignent du caractère d’Olivie Charles, un artiste fantasque à l’imaginaire très riche», précise-t-elle. «Nous savons aussi qu’il aimait travailler en série. Nous avons d’ailleurs certains clichés qui montrent l’intérieur de son appartement, avec des murs recouverts de collages et de motifs répétitifs.» Peintre avant tout, ayant apparemment côtoyé Picasso de son vivant, il a aussi exposé ses photographies. Une fois. C’était en 1982 à la place de la Palud, dans une galerie qui a aujourd’hui disparu. Le passé d’Olivier Charles semble définitivement bien fugace.

©Collections Photo Elysée/Ensemble Olivier Charles

Pas d’indications non plus du lieu exact d’où ont été immortalisés ces clichés. Mais il y a des pistes. Il faut trouver un lieu en hauteur, sorte de perchoir à la vue imprenable sur la Cathédrale. Et il se trouve qu’Olivier Charles a longtemps habité et travaillé dans un appartement à la Rue du Dr César-Roux, qui serpente autour de la vieille ville de Lausanne. Une hypothèse crédible qui sera confirmée par l’une de ses amies, nous offrant même quelques indices supplémentaires: «Olivier Charles habitait bel et bien rue César-Roux. Il avait mis en place un dispositif fixe afin de prendre une image depuis la même place à différentes heures du jour.» L’enquête avance.

©Collections Photo Elysée/Ensemble Olivier Charles

Reste encore à savoir la période durant laquelle s’étale cette «obsession». Une fois n’est pas coutume, les indications sont rares. Une voiture à la silhouette un peu vieillotte présente sur l’un des clichés semble nous orienter vers les années 80. En parcourant l’ensemble des 908 photographies, nous tombons finalement sur le carton d’emballage des Polaroïds. Date de péremption: août 1981. Nous n’étions pas très loin.

Etude, obsession ou amour inconditionnel

Le dos d’un des photos instantanées met fin à cette l’énigme avec une date inscrite de la main d’Olivier Charles: 1981, la seule de l’ensemble du lot. Est-ce que toutes les photos ont été prises cette année-là? Impossible à dire pour le moment. Une chose est sûre, les clichés suivent le rythme des heures et des saisons. De la neige au grand soleil, de l’aube au crépuscule, les polaroïds capturent toutes les teintes du ciel de la Cité olympique. Avec un jeu de filtre allant du rouge au bleu en passant par l’orange ou le rose, rarement Notre-Dame n’aura vu autant de couleurs. L’édifice gothique habitué aux gris un peu ternes se révèle à la fois château enchanté multicolore ou lugubre bâtisse effrayante.

©Collections Photo Elysée/Ensemble Olivier Charles

Une obsession qui force à observer un monument sous toutes ses facettes. Une façon de redécouvrir des lieux que l’on connaît bien mais que l’on n’a jamais pris la peine d’inspecter avec autant d’insistance. 908 Polaroïds comme une étude approfondie sur la Cathédrale, un travail de colorimétrie ou simplement une preuve d’amour pour sa ville de cœur ? Nul ne le saura sûrement jamais. Photo Elysée espère pouvoir un jour mettre en valeur ce millier de clichés. En faire peut-être une fenêtre géante sur Lausanne, histoire de pouvoir, quarante ans plus tard, observer la Cathédrale avec les yeux fantasques d’Olivier Charles.

©Collections Photo Elysée/Ensemble Olivier Charles
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