Des visiteurs lors de l’inauguration de Photo Elysée sur le site de Plateforme 10. @Eddy Mottaz / Le Temps

Passer une porte pour entrer dans un bâtiment, s’annoncer à l’accueil, descendre des escaliers, s’orienter de salle en salle, passer d’une œuvre à une autre en découvrant les légendes et les explications au fur et à mesure, puis repartir comme on est venu. Si l’expérience de visite d’un musée est souvent riche pour le tout-venant, elle est aussi agréablement anodine: les étapes du parcours s’enchaînent naturellement, sans heurts et sans obstacles majeurs. A tel point que l’on tend aisément à oublier combien une simple flânerie peut se muer en parcours du combattant pour une personne présentant un handicap. Le déménagement vers Plateforme 10 a ainsi offert à Photo Elysée l’occasion de repenser son offre culturelle sous l’angle de l’accessibilité. Concrète, consciencieuse, et même ludique, la démarche vise à identifier les besoins des personnes en situation de handicap et à améliorer l’expérience de visite pour le public dans son entièreté.

Une formation continue du personnel

Dans la petite salle de réunion insonorisée qui jouxte les bureaux de Photo Elysée, Chloé Andrieu a le sourire aux lèvres au moment de se présenter. Chargée de projets Accessibilité au sein du département Publics et médiation, elle est la première personne à occuper ce poste créé récemment, un an à peine avant la réouverture du musée. Photo Elysée, nous apprend-elle, fait désormais partie du label Culture Inclusive, géré par l’association Pro Infirmis, et à ce titre s’engage à promouvoir un accès à la culture le plus large possible. Le public auquel s’adressent ces mesures d’inclusivité comprend notamment les personnes malvoyantes et malentendantes, ainsi que tout individu présentant une déficience motrice, intellectuelle ou un trouble psychique quelconque.

«Dans un premier temps, avec mes homologues des deux autres musées de Plateforme 10, nous avons adopté une approche transversale, avec des formations générales pour l’ensemble des départements de Photo Elysée. Ceci afin de sensibiliser tous les acteurs du musée à la prise en charge de ces personnes», expose Chloé Andrieu. «Une politique inclusive n’a de réelle efficacité que si elle est étendue à tous les services d’une institution, de la communication à la technique, en passant par l’accueil, la médiation, la scénographie.» Une fois établi un enjeu commun, le discours peut se spécialiser: «Nous tendons à privilégier actuellement une formation continue par corps de métier, avec une sensibilisation accrue dans les pôles qui offrent un lien direct avec le public, comme la librairie ou la médiation. Il est essentiel pour notre personnel d’acquérir les bons réflexes, d’adopter une attitude à l’écoute de l’interlocuteur et de ne pas se sentir démuni face au handicap, quel qu’il soit.»

Une inclusivité au sens large

Les besoins spécifiques auxquels le musée est conduit à répondre sont extrêmement variés: le défi consiste donc à trouver un compromis, qui permettra d’enrichir l’expérience de visite des uns sans entraver celle des autres. Chemin faisant, l’institution peut s’appuyer sur sa charte d’accessibilité, qui définit les principes d’inclusivité et cite les normes à respecter d’une exposition à l’autre. Dans un souci d’ouverture et d’échange, la charte est continuellement mise à jour au fil des expertises réalisées au sein du musée par des spécialistes de l’accessibilité.

Parmi les mesures pratiques mises en place en amont de l’ouverture de Photo Elysée, on trouve notamment l’ajout d’un onglet «accessibilité» sur le site. «Il est nécessaire de rassurer une personne en situation de handicap moteur, par exemple, en lui communiquant que le musée dispose de sièges pliants pour personnes fatigables, de chaises roulantes, d’ascenseurs normés, de toilettes adaptées.» De la même façon, on aura pris soin d’indiquer aux personnes malentendantes que Photo Elysée est équipé d’une boucle magnétique, et que les visites guidées publiques leur sont dès lors ouvertes. «On n’imagine pas combien il peut être anxiogène pour une personne en situation de handicap de ne pas savoir comment elle sera accueillie sur place», souligne Chloé Andrieu.

Autre détail que l’on remarque en découvrant les collections: la hauteur des œuvres, qui plafonne systématiquement aux alentours de 1 mètre 50. Plusieurs experts s’accordent sur les vertus de cette élévation, qui permet aux enfants, au public en fauteuil roulant ou encore aux personnes de petite taille de profiter de l’exposition, sans pour autant que leur confort s’obtienne au détriment de celui des personnes de très haute taille. À propos du jeune public, Chloé Andrieu désigne une image présentée dans l’exposition des collections : une photographie particulièrement choquante de prisonniers irakiens malmenés par des gardes américains. Le cliché dispose de son propre cache, et l’équipe du musée prend toujours soin de le dissimuler aux yeux du public lors des médiations scolaires. «Même lors de tours guidés avec un public adulte, j’ai à cœur d’avertir les visiteurs que cette image peut heurter leur sensibilité. La censure n’a bien évidemment pas sa place dans un musée, et il est nécessaire de pouvoir tout montrer sans fard. Mais le dévoilement de réalités aussi crues doit être accompagné de prévenance et d’attention, pour respecter l’intégrité émotionnelle de chacun. C’est aussi ça, l’inclusivité. Nous sommes à l’écoute du public et menons une recherche constante pour mieux faire.»

Le public parle, le musée répond

Si le bâtiment est régulièrement expertisé dans le but d’améliorer l’accessibilité du musée, le principal élan critique provient des visiteurs eux-mêmes. Arrivé au terme de sa déambulation, le public est en effet invité à s’exprimer sur de petits écriteaux mis à disposition. Certains y font part de leur enthousiasme, d’autres y vont de leurs questions, beaucoup laissent leurs coordonnées afin d’être contactés en retour par l’équipe, ce qui ne manque jamais. Depuis l’ouverture – pourtant très récente – de Photo Elysée à Plateforme 10, des modifications ont déjà été effectuées dans l’exposition, à la lumière de commentaires laissés par des visiteurs, qui exprimaient leur regret quant à certains choix scénographiques. Les cartels portant les légendes des photographies ont notamment soulevé des contrariétés en raison de la taille des caractères, jugée illisible pour la communauté malvoyante et trop petite pour de nombreux visiteurs. «Message reçu, on est actuellement en train de réimprimer l’entièreté des cartels de l’exposition», annonce Chloé Andrieu. Un ennui passager qui témoigne d’une réelle ouverture à tous les publics, et met en lumière les bénéfices d’une démarche centrée sur le dialogue, la critique constructive et la remise en question des certitudes.

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