Vue de l’exposition «Monique Jacot – La Figure et ses doubles». © Anthony Rochat/Photo Elysée

L’exposition Monique Jacot – La Figure et ses doubles, dont le commissariat est assuré par Hannah Pröbsting, permet une pertinente redécouverte du travail de la photographe romande. Il s’agit ici mettre en lumière la manière dont l’artiste «joue » avec la figure et ses doubles. «Par le biais du montage et par différents jeux de miroir, elle confère à ses œuvres une esthétique poétique, presque onirique», précise un texte accompagnant à l’accrochage. En témoigne cette composition d’une sidérante étrangeté modulant les reflets de femmes enceintes flottant, yeux clos, au cœur d’une piscine à Morges en 1990. Leur posture commune les confond jusqu’au vertige

Femmes au travail

Il y a chez cette photographe, qui a réalisé des reportages pour des magazines ou revues, dont L’Illustré et Elle, un intérêt constant porté à l’humain et aux milieux sociaux. Ainsi son arpentage de la condition féminine au travail. Proche d’un réalisme social humaniste, elle suit l’univers des agricultrices, dont le nombre décroit alors fortement, pour Femmes de la terre (1984-1989). Elle a rendu visite pendant plusieurs années à des familles paysannes, participant aux fêtes et à la vie quotidienne. Son regard témoigne d’une attention renouvelée au détail et d’une grande sensibilité au cadrage. A l’instant décisif, elle préfère privilégier la collaboration sur le long terme avec les personnes photographiées dont le nom figure aux légendes des images.

Monique Jacot, “Maud Liardon, danseuse, Prangins”, 1990 © Monique Jacot/Fotostiftung Schweiz, Courtesy Photo Elysée

Puis ce fut le monde aliénant, en crise au détour de Cadences – L’Usine au féminin (1991-1999). Femme penchée sur sa machine et portant t-shirt affichant un couple juvénile issu du rêve américain idéalisé. Travailleuse vérifiant des semelles démultipliées en séries. Les conditions de prises de vues sont alors très contraignantes favorisant l’anonymat des sujets, les directions lui refusant tout échange avec ces femmes au travail. L’idée du double est ici filée sur un mode critique des hiérarchies de l’ouvrière réduite à un rouage.

De dédoublement, il est question dans cet instantané qui est un modèle de mise en tensions entre plans de l’image par le cadrage. Trois petites filles de dos contemplent autant de poupées reflétant leurs rêves. «Appartenant à une nouvelle génération de femmes reporters, Monique Jacot se considère comme l’égale des hommes de sa profession depuis les années 1960-1970, époque à laquelle elle a assisté aux débats féministes dans les rédactions des magazines parisiens», relève Nathalie Herschdorfer, directrice de Photo Elysée, dans le livre accompagnant la rétrospective que la Fotostiftung Schweiz de Winterthour lui consacrait en 2005.

Monique Jacot, “Sans titre”, 1995 © Monique Jacot/Fotostiftung Schweiz, Courtesy Photo Elysée

Monique Jacot découvre le polaroïd en 1970. Au fil d’un quasi-récit défilant en polaroïds alignés sous la forme d’une frise, la photographe silhouette la gémellité liant deux femmes. Cette série couleurs joue littéralement sur la thématique du double s’initiant avec plusieurs images d’enfants jumeaux. La photographe expérimente, parfois dans un esprit surréaliste et aléatoirement, les limites narratives du médium par une attention portée aux textures. Ceci par surimpression de négatifs et transfert d’images polaroïd rappelant des procédés picturaux.

Collages montages

L’accrochage présente deux tirages récents réalisés en 2020, des variations sur des escaliers spiralés se rattachant à l’Abstraction. Ils témoignent d’un désir d’expérimenter les représentations, les formes et les matières. Il faut rappeler ici que dans les années 1980, Monique Jacot s’initie au dessin en suivant des cours. Tentée par la gravure, elle réalise des monotypes baignés d’une belle sensorialité colorée. Un contraste bienvenu alors que la Neuchâteloise suit les conditions éprouvantes des ouvrières travaillant à la chaine en usine. Côté technique, l’artiste appose aussi des polaroïds sur du papier dessin au fil de leur développement.

Monique Jacot, “Cosette Pétremand, La Côte-aux-Fées, Neuchâtel”, 1984-1989 © Monique Jacot/Fotostiftung Schweiz, Courtesy Photo Elysée

La faiseuse d’images a aussi travaillé pour les arts vivants de la scène. Elle joue ainsi avec le corps et le mouvement de la danseuse Maud Liardon, dans une forme de séquençage de ses postures néo-classiques. Ou comment décomposer chronologiquement les phases d’un mouvement. Celle qui a par ailleurs réalisé plusieurs portraits d’écrivains (Frisch, Dürrenmatt, Haldas…) pourrait placer son travail à l’enseigne d’un court poème de Georges Haldas qu’elle aime, Souffle: «Si démuni que vivre/est comme un souffle/entre deux arches d’ombre». C’est cette profonde disponibilité à la vie tel un souffle contre toute pétrification qui marque durablement chez Monique Jacot.

«Monique Jacot – La Figure et ses doubles», Hall UBS, Lausanne, jusqu’au 11 novembre.

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