Nora Matyhs, conservatrice responsable du département des collections © Eddy Mottaz /Le Temps

Qui dit musée, dit collections. De précieuses collections qui font l’identité d’une institution, mais répondent également à un devoir de mémoire et de mise en valeur du patrimoine et de la photographie, de son histoire comme de ses pratiques et techniques. Sur quelles bases constituer une collection? Peut-on tout accepter? Comment les valoriser? Doit-on tout exposer? Autant de questions qui rentrent dans la politique d’acquisition d’un musée. Le point avec Nora Mathys, conservatrice des collections à Photo Elysée.

La valorisation d’un musée et de ses collections passe, en partie, par une politique d’acquisition définie. Qu’en est-il à Photo Elysée?

Il est essentiel pour un musée d’avoir une politique d’acquisition – au sens large du terme, comprenant aussi les dons – pour avoir une ligne directrice à laquelle se réfère le comité d’acquisition. C’est sur elle que l’on se basera pour la constitution de futures collections ou l’enrichissement de celles déjà existantes. Notre comité d’acquisition, composé de la direction, du conservateur en chef, de la conservatrice des expositions et moi-même, conservatrice des collections, est en charge de sa définition et de sa mise en œuvre. Photo Elysée existe depuis près de 40 ans. Il est dès lors important de connaître son histoire et la manière dont le musée s’est constitué au fil du temps, ainsi que les lignes directrices qui structurent ses collections et ses divers fonds pour pouvoir ensuite décider de l’accent que l’on souhaite donner à nos collections. D’une part, pour cibler nos points forts et nos points faibles, d’autre part pour éviter les doublons.

Le fait d’être un musée cantonal change-t-il quelque chose?

En tant que musée cantonal, nous avons un devoir de contribuer à la sauvegarde du patrimoine photographique du canton de Vaud. Pour cela, nous collaborons avec la bibliothèque cantonale, les archives cantonales et diverses institutions locales pour se répartir les divers fonds en fonction de la logique et des missions de chaque entité. Par ailleurs, Photo Elysée a une place particulière, étant non seulement un musée cantonal, mais également un musée spécialisé dans la photographie à un niveau international. C’est l’un de nos défis: trouver un bon équilibre entre la photographie locale, régionale et nationale, et internationale.

Sabine Weiss, «Cheval ruant, portes de Vanves», 1951 © Sabine Weiss/Collections Photo Elysée

Le matériel photographique est-il plus riche que d’autres formes d’art? Quelles sont ses spécificités?

La photographie unique, comme épreuve signée par le ou la photographe, peut être comparée à la sculpture ou la peinture. Mais dès lors qu’on rentre dans un album, des fonds ou des archives de photographes, le matériel à disposition est colossal. La photographie est un média de masse. On se retrouve rarement face à un seul tirage. Les photographes qui ont longtemps travaillé avec l’analogique possèdent parfois jusqu’à 100 000 négatifs et diapositives. Sans compter les tirages de travail, ceux des expositions et les vintages. Dans 30 ans, l’acquisition des fonds analogiques aura presque cessé pour laisser place aux fonds numériques.

La politique d’acquisition de Photo Elysée a-t-elle évolué au fil du temps?

La manière de collectionner a bien sûr évolué en fonction des directions qui se sont succédées et de la professionnalisation du musée. Avec Tatyana Franck [directrice de mars 2015 à janvier 2022], nous avons élaboré une politique d’acquisition dans l’ambition de donner une ligne directrice qui est donc récente. Cette politique suit deux objectifs: collectionner des fonds de photographes important·e·s d’une part, tout en complétant nos collections d’autre part, et en y intégrant de nouvelles techniques photographiques ainsi que des œuvres issues de la production contemporaine.

Qu’en était-il auparavant?

Lorsque le Musée de l’Elysée a été fondé en 1985, son directeur Charles-Henri Favrod avait pris en charge l’importante collection iconographique vaudoise, qui faisait auparavant partie du Cabinet des estampes de la Maison de l’Elysée, et constituait alors la base du musée. En 2016, cette collection est partiellement partie rejoindre la Bibliothèque cantonale et universitaire, car les objets en question y trouvent une place plus adéquate. Charles-Henri Favrod disposait d’un important réseau de photographes contemporains. Il était très intéressé par les nouvelles acquisitions, négociant les œuvres, les collections, achetant tout ce qui était lié à l’histoire photographique, mais sans politique définie. Photo Elysée possède aujourd’hui plus d’un million d’objets, parmi lesquels des tirages, des négatifs, des planches contacts, des livres, des magazines et autres documents. C’est l’une des spécificités de notre institution: nous avons dans nos collections des fonds de photographes comme René Burri, Charlie Chaplin, Jan Groover, Ella Maillart ou Sabine Weiss.

Une acquisition peut se faire par achat, commande ou don. Expliquez-nous…

Grâce à son budget d’acquisition, le musée achète des œuvres à des photographes et aux galeries qui les représentent. Nous passons parfois commande à des photographes. Photo Elysée a à cœur de soutenir la nouvelle génération et de commencer tôt à construire des collections avec les photographes de demain afin de pouvoir les suivre tout au long de leur carrière. Outre les legs, le plus complexe pour nous est la question des dons de particuliers. Certaines personnes nous appellent pour nous faire des propositions, d’autres viennent directement au musée avec leur sac de négatifs ou leurs albums. Parfois même, on nous envoie des paquets par La Poste sans adresse de retour. Il nous est impossible de jeter du matériel photographique, ceci doit être de la responsabilité de la personne qui les possède. Et nous ne pouvons malheureusement pas accepter toutes les donations. C’est la raison pour laquelle nous étudions d’abord les dons proposés avant de les accepter.

Nora Matyhs, dans les locaux des archives de Photo Elysée sur le site de Plateforme 10 © Eddy Mottaz / Le Temps

Quel est le processus pour déterminer si l’objet reçu est d’intérêt pour le musée?

Nous refusons d’office un don si le matériel est en mauvais état. Pour le reste, nous avons besoin du plus d’indications possibles. D’où provient le fonds? A-t-il été acheté? Qui en est l’auteur? Quel en est le contenu? La date? Des visuels sont-ils disponibles?  Quelles sont les techniques utilisées? Dispose-t-on d’assez de ressources pour les traiter? Une autre institution aurait-elle un intérêt et les moyens de s’en occuper?  Toutes ces informations nous donnent déjà une idée de la valeur scientifique d’un don. Je fais une pré-évaluation avec mon équipe, puis le fonds est soumis au comité, à qui revient la décision finale. Nous recevons toutes les semaines des propositions d’achat ou de don. Suite au déménagement à Plateforme 10, Photo Elysée a été très présent dans les médias, avec comme conséquence une augmentation des donations de particuliers.

Qu’en est-il de certaines thématiques ou questions sociétales?

Nous ne refusons a priori aucune thématique, nous essayons plutôt de cibler les carences de nos collections. Aujourd’hui, nous prêtons également plus attention aux œuvres des photographes femmes pour nous assurer qu’elles soient bien représentées dans nos collections. Les photographies portant sur des sujets tels que les questions d’identités sexuelles, de genre, nous intéressent. La diversité des techniques est également l’un de nos points forts, tout comme le voyage et les photographes qui ont enseigné et fondé des écoles importantes, telle Gertrude Fehr, qui crée en 1940 l’Ecole de photographie de Suisse romande.

Ella Maillart, «Temple d’Or, Amritsar», 1975 © Ella Maillart/Collections Photos Elysée

Vous possédez 1,2 million de phototypes. Où sont-ils conservés? Et est-il possible de tout valoriser?

Nos collections se trouvent dans cinq réserves différentes, dont des bunkers. Notons qu’elles n’ont pas encore déménagé à Photo Elysée, la phase test de la température n’étant pas encore achevée dans le nouveau bâtiment. Plateforme 10 possède des réserves plus grandes et aux conditions excellentes. Le matériel pourra être stocké à 6, 11 et 17 degrés, des températures idéales pour la conservation. Parmi nos plus d’un million de photographies, un nombre important n’a jamais été exposé. Cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas dignes d’intérêt, mais que présentement elles ne rentrent pas dans notre démarche de valorisation. L’une de nos tâches est de conserver ce qui a une valeur patrimoniale. Nous ne possédons malheureusement par les ressources pour tout exposer. Accepter un fonds est un énorme investissement. Cela signifie le conserver, le rendre accessible, en numériser une partie, répondre aux diverses demandes. Pas uniquement le stocker. Les ressources à disposition font partie entière de notre réflexion de politique d’acquisition. Soulignons enfin que la valorisation ne passe pas uniquement par une exposition. Nous avons d’autres possibilités de valoriser des fonds, notamment en exploitant d’autres supports comme le numérique.

Vous gérez et conservez un ensemble significatif de photographes internationaux, et de personnes moins connues. A qui appartiennent in fine les phototypes? Que dit la loi suisse à ce sujet?

Il faut faire la distinction entre l’objet en soi et les droits d’auteur. Lorsque des objets sont donnés à Photo Elysée, ils deviennent la propriété de l’Etat de Vaud. Concernant les droits, c’est différent, puisque ceux-ci restent liés à l’artiste ou à sa famille même après sa mort. Dans de rares cas, les droits d’auteur d’un·e photographe sont gérés par le musée. Le droit d’auteur tombe dans le domaine public 70 ans après la mort de l’artiste.

Quels défis vous attendent dans le futur?

La conservation de la photographie analogique reste au centre de nos préoccupations. Une quantité importante de photographies argentiques va encore arriver dans notre institution, notamment via les donations de personnes âgées qui ont photographié toute leur vie. Avons-nous les ressources pour tout gérer? Les conserver? En parallèle, toute la question liée au savoir-faire du numérique et du stockage digital se pose. Photo Elysée, en collaboration avec Plateforme 10, est en train d’établir un système où l’on pourra recevoir des fonds numériques. Nous vivons une période charnière où nous devons traiter à la foi de l’analogique et du numérique. C’est là un véritable challenge.

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