«El Che», reproduction peinte (2005) ©René Burri / Magnum Photos / Musée de l’Élysée

Il est l’auteur d’un portrait iconique de Che Guevara fumant son cigare. Membre de l’agence Magnum à partir de 1959, le célèbre photojournaliste suisse René Burri a témoigné des événements majeurs de la seconde moitié du XXe siècle. Devant son objectif ont défilé des figures comme Pablo Picasso, Le Corbusier, ou encore Winston Churchill. Après une soixantaine d’années à parcourir le monde avec son appareil photo, le Zurichois a déposé ses archives au Musée de l’Elysée en 2013, un an avant son décès.

Si René Burri est connu pour l’impact visuel de ses compositions graphiques et humanistes en noir et blanc, le fonds hébergé par l’institution lausannoise révèle également une facette inédite du photographe.

Des photos, des ciseaux et un pinceau

Mélanie Bétrisey, responsable du fonds René Burri et conservatrice assistante, tourne délicatement les pages jaunies de l’un des 150 carnets de voyage déposés à l’Elysée. Sur un fond pastel, deux voiliers voguent paisiblement le long du Nil. Une peinture à l’aquarelle, suivie d’un collage, puis d’un dessin… Au fil des pages, l’œuvre du photographe s’affranchit de sa discipline. «C’était un artiste à part entière, souligne Mélanie Bétrisey. Peu importe le support, il créait inlassablement.

Carnets de dessins © Anthony Rochat / Musée de l’Elysée

Outre 10’000 tirages photographiques en noir et blanc et en couleurs, le fonds comporte près de 33’000 tirages de lecture, 7’000 planches-contacts, 170’000 diapositives, une vingtaine de maquettes de livres photographiques, ainsi qu’une centaine de collages indépendants et des bobines de films. «Ce fonds est surprenant, non seulement pour la multiplicité de ses supports mais aussi parce que René Burri a préservé l’ensemble de son processus créatif.»

L’homme derrière l’image

Malgré la fraîcheur de la salle des réserves, une chaleur humaine se dégage des objets que Mélanie Bétrisey manipule avec soin. Derrière chaque coup de crayon ou marque d’usure, on imagine les faits et gestes de l’artiste. «Il y a quelque chose de très vivant dans son œuvre, partage la conservatrice assistante. On découvre sans cesse une nouveauté, à l’image d’un artiste qui ne manquait jamais de récits inédits.»


«Autoportrait», Coronado, Nouveau Mexique (1973-1983) © René Burri / Magnum Photos Foundation / Musée de Elysée

Durant les préparatifs du fonds, Mélanie Bétrisey a régulièrement visité l’appartement parisien du photographe et de sa seconde femme, Clotilde Blanc-Burri, à Ivry-sur-Seine. «L’homme est aussi généreux que son œuvre, décrit-elle, avant d’ajouter avec un sourire: et plutôt taquin». Elle se remémore un dîner dans un prestigieux restaurant: «A peine étions-nous attablés qu’il m’a donné un léger coup de coude et s’est mis à dessiner sur son assiette, avant de tout effacer avec sa serviette.»

Parcourir le fonds René Burri, c’est se plonger dans l’intimité du personnage. «A travers son œuvre, on est plus proche de l’homme que du photographe», poursuit Mélanie Bétrisey. De fait, qu’il s’agisse de son acte de naissance, de billets d’avion ou de cartes de voyages, le Zurichois collectionnait tout. «Nous avons plus de 100 kilogrammes d’archives papiers», précise-t-elle avant d’évoquer le vertige qui l’a saisie en pénétrant pour la première fois dans l’atelier du photographe: «C’était un réel bric-à-brac de boîtes, de diapositives et d’objets variés rapportés de voyages. Il s’entourait de son œuvre comme s’il s’agissait d’une matrice créative.»

Une gestion muséale revisitée

Si la mission du Musée de l’Elysée est de rendre ce fonds cohérent tout en le conservant et valorisant, le dépôt de René Burri lance un défi. «La masse colossale et la multiplicité des supports créatifs remettent en cause notre gestion habituelle des fonds photographiques», explique la conservatrice assistante en retirant une caisse de grand cru de l’étagère.

Tirages de lecture dans les réserves © Anthony Rochat / Musée de l’Elysée

A l’intérieur, les bouteilles de Bordeaux ont cédé la place à des milliers de tirages de lecture agencés par des marque-pages. «C’était la base de données de René Burri, commente-t-elle. Remplacer ces caisses par des boîtes d’archives impersonnelles semblait trahir l’âme du photographe et la singularité de sa pratique. Nous les avons donc protégées avec une cloche en plexiglas et des cartons non-acides.»

Un fonds en évolution

L’œuvre de René Burri est ancrée dans l’histoire du Musée de l’Elysée. Lors de son ouverture officielle en 1985 en tant que musée pour la photographie, il était présent par amitié pour son directeur, Charles-Henri Favrod. L’institution exposera plusieurs fois le travail de l’Alémanique, avant qu’il ne choisisse d’y abriter sa fondation en 2013. Ainsi, PLATEFORME 10 se profile tel le prolongement d’un parcours. «L’Elysée sera un centre de documentation pour l’œuvre de René Burri. Le déménagement nous permettra de récoler le fonds avant de l’analyser», se réjouit Mélanie Bétrisey.

«Mexique, Etat du Chiapas» (1982) © René Burri, / Magnum Photos Foundation, / Musée de l’Elysée.

D’ici là, son œuvre ne cesse d’étonner: «Tout reste à découvrir! Nous recevons encore des archives à ce jour. Je dis souvent que la production de Burri que je préfère est celle que je n’ai pas encore vue.» Un écho peut-être à ce que disait le photographe: «Un de ces jours, je publierai un ouvrage de toutes les photos que je n’ai pas prises. Ce sera un énorme succès.»

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