Situées à l’étage -2 du bâtiment abritant le Musée de l’Elysée et le mudac, les nouvelles réserves permettront de conserver des œuvres au sein de différents climats. ©Jean-Christophe Bott / Keystone

Bon nombre de visiteurs ne le savent sûrement pas, mais le Musée de l’Elysée ne se limitait pas qu’au numéro 18 de l’avenue du même nom. Trop nombreuses, trop volumineuses, les collections sont en effet en partie stockées dans divers lieux de réserve. Si les œuvres les plus précieuses sont conservées dans le bâtiment même de l’Elysée, le reste est réparti entre Sévelin, la Cinémathèque suisse, Corbeyrier près d’Aigle et Lucens dans le nord-est vaudois. A chaque lieu une partie des collections qui lui est propre, respectivement le fonds Jan Groover, les délicates archives de négatifs nitrates, les «hors formats» ou les encadrés et les objets encore non-traités ou reçus en très grande quantité.

Disséminées aux quatre coins du canton, les réserves représentent parfois un véritable défi logistique pour les équipes du musée: «Nous pouvons déplacer une partie des œuvres nous-même, mais pour Corbeyrier par exemple, c’est très souvent impossible car les œuvres sont trop grandes. Dans ce genre de cas, il faut faire appel à des fournisseurs ou des transporteurs pour rapatrier les objets sur le site de l’exposition», témoigne Nora Mathys, responsable du département des collections. Pour les différentes équipes du musée, rassembler les réserves sur un unique lieu, à PLATEFORME 10, permettra également d’apporter une certaine continuité à leur travail, sans besoin de se déplacer pour réaliser le récolement ou le contrôle des inventaires. Quand un voyage de plusieurs dizaines de kilomètres était souvent nécessaire, un simple trajet en ascenseur suffira désormais.

6, 10 et 17 degrés: les trois températures clés

Autre avantage d’installer les réserves dans le nouveau bâtiment qui sort de terre près de la gare: conserver les œuvres de la façon la plus optimale possible. Chaque support photographique nécessite en effet une température précise: 6 degrés pour les négatifs, 10 pour la couleur et 17 pour le noir et blanc. «Jusqu’à maintenant, toutes les réserves étaient maintenues à 18 degrés, exceptés nos négatifs à la Cinémathèque, qui sont trop sensibles et délicats pour être stockés au-delà de 8 degrés. Nous avions déjà des espaces contrôlés et climatisés, mais le fait d’avoir trois températures permettra d’améliorer grandement la conservation de nos collections», se réjouit Nora Mathys. Travailler avec des températures différentes n’est cependant pas anodin, car il faut à tout prix éviter les chocs climatiques. Pour sortir les objets des réserves, il sera désormais nécessaire d’œuvrer par paliers de décompression: «Il ne sera pas possible d’extraire un phototype des réserves et de l’amener directement à température ambiante. Pour sortir une photographie en couleurs, nous la transférerons par exemple d’abord dans une salle à 17 degrés, où elle restera 24 heures avant de quitter les réserves. Pour un négatif, il faudra compter au minimum 48 heures, ce qui nous obligera à anticiper d’avantage si nous avons rapidement besoin d’une œuvre.»

Proposer des espaces à une température et un niveau d’hygrométrie constants n’est pas un défi technique à proprement parler. Tous les musées maintiennent un climat défini. Bâtir en 2020 nécessite cependant de se soumettre à de nouvelles normes énergétiques, comme le détaille Emmanuel Ventura, architecte cantonal: «Avant, on se souciait très peu du développement durable. S’il fallait faire du chaud, on faisait du chaud, et inversement. Aujourd’hui, nous devons pouvoir maintenir les bons climats tout en utilisant des énergies renouvelables afin d’être conforme aux directives pour l’efficacité énergétique et la durabilité des constructions. Là réside le véritable défi.»

Maintenir les climats à tout prix

D’autres problématiques entrent également en jeu afin d’éviter les fluctuations, notamment concernant le système de mesure. Les réserves seront équipées de sondes extrêmement précises fonctionnant au demi-degré près. Leur emplacement est crucial afin que la température corporelle des employés ne perturbe pas les relevés de chaleur et d’humidité. Pour cela, le Musée de l’Elysée a la chance de pouvoir profiter des connaissances acquises durant la construction du Musée cantonal des beaux-arts, son futur voisin. «Le MCBA possède des locaux similaires, avec le même genre de mesures relevées 24 heures sur 24, précise Emmanuel Ventura. Nous avons donc pu éprouver la procédure en cas d’écart de température et de signal d’alarme, quel protocole il faut mettre en place, qui doit intervenir en premier, etc.» Et tout comme le MCBA, les réserves du Musée de l’Elysée bénéficieront elles aussi d’un système dit «de redondance», afin d’assurer à tout prix le maintien des climats. «Un groupe électrogène interne prend le relais en cas de panne. Si pendant un certain laps de temps le système n’a toujours pas été réparé, c’est un autre groupe électrogène, mobile cette fois-ci, qui vient directement sur le site de PLATEFORME 10, où il est branché sur une prise à l’extérieur du bâtiment.»

Plongées au sous-sol de PLATEFORME 10, les réserves seront sécurisées grâce à un système de surveillance haute technologie, avec contrôle à chaque entrée et sortie des œuvres. Un protocole digne de film d’espionnage pour protéger ce qui s’apparente effectivement à un véritable trésor. Les réserves verront également leur volume tripler, passant de 1412 à 4560m3. Pour le moment, elles sont en chantier et devront attendre encore un peu avant d’intégrer leurs locaux flambants neufs. Mais cela n’empêche pas le Musée de l’Elysée de penser déjà au futur à (très) long terme. «Aussi performants que seront nos nouveaux espaces, ils ne pourront pas être extensibles. Nous avons environ 30 ans de marge avant de les remplir entièrement. Mais tout va aussi dépendre de nos acquisitions et de la part des réserves qui sera sous format numérique», explique Nora Mathys. Mais 2050, c’est encore loin. Plus proche de nous, quelque part au niveau -2 du nouveau Musée de l’Elysée, les ouvriers sont en train de poser l’isolation de ces futures réserves, qui mettront quatre saisons avant de proposer des climats totalement stables. Les collections ne seront ainsi pas déménagées avant début 2023.

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