©Anita Affentranger

Directeur de la fondation Suisse pour la culture Pro Helvetia, Philippe Bischof estime que le projet Plateforme 10 a comme atout d’être à la fois culturel, social et politique.

Et si le 10 derrière Plateforme n’était qu’une coïncidence, et qu’on pouvait aussi l’appeler Plateforme 100 ou 1000, ou simplement Plateforme des nombreux? L’enthousiasme pour ce projet culturel de nouveau quartier des arts réside dans le fait que cette notion de pluralité y semble possible; et comme beaucoup d’autres personnes, j’espère que l’installation de trois musées autour de la gare de Lausanne donnera l’impulsion pour devenir un lieu dont les possibilités et les fonctions continueront à se développer à mesure que ses utilisateurs s’étendront et se diversifieront.

Le projet qui prend forme ici est unique en Suisse: il est à la fois culturel, social et politique, et me fascine depuis la première fois que j’en ai entendu parler. Son emplacement, ses architectures, font rêver à de futurs contenus jusqu’alors inédits. Le nom Plateforme 10 me rappelle la remarque de la philosophe franco-belgo-congolaise Nadia Yala Kisukidi, selon laquelle la grande tâche et question culturelle de l’époque est de reconnaître «comment penser au pluriel si on est dans une situation asymétrique»: il s’agit donc de créer d’autres espaces de possibles, au-delà des définitions habituelles que nous citons lorsque nous parlons de musées, d’art et de culture.

Rendre les débats critiques possibles

L’expérience de la pandémie de Covid-19 a considérablement accru notre conscience et notre sensibilité aux inégalités qui marquent notre société. Les ressources, leurs accès, les opportunités sont inégalement répartis, y compris en Suisse. Nous faisons également l’expérience impressionnante de la valeur et en même temps de la difficulté d’acquérir des connaissances dans une situation presque figée par sa complexité et de les transmettre de telle sorte que des débats critiques soient possibles. Oui, il est souvent dit que nous avons besoin de plus de plateformes libres sur lesquelles cela peut se produire.

Or, il faut reconnaître en même temps que l’idée d’une plateforme séduit par les notions d’égalité et d’ouverture apparentes, sans pour autant pouvoir les garantir effectivement. Spotify ou Amazon ne sont que les exemples les plus célèbres d’une distribution inégale des ressources délibérément organisées vers un fort profit pour une petite minorité grâce à l’utilisation intensive d’une masse d’utilisateurs, ceci dans un modèle unilatéral.

Consolider la démocratie

Mais je suis sûr que les concepteurs et responsables de Plateforme 10 en sont pleinement conscients. C’est pourquoi j’espère qu’ils réussiront à vivre les opportunités de la diversité non pas comme une idée promotionnelle, mais comme une tâche culturelle et sociale sincère visant à étendre la diversité des images, des voix et des histoires dans et hors les murs des institutions.

Pourquoi cette pluralité est-elle importante, plus que jamais? C’est dans notre lien à l’égard de l’autre, en reconnaissant la diversité, que nous enrichissons notre existence et consolidons notre démocratie.

Appréhender l’avenir des institutions culturelles

La situation géographique de Plateforme 10 ne pourrait être meilleure: un espace public entouré de lieux fonctionnels de la vie quotidienne et professionnelle à partir desquels les gens peuvent venir à la rencontre de l’art, du design, de la photographie et de l’image. MCBA, Musée de l’Elysée, mudac: ces trois musées, à leur tour, ont une immense opportunité de développer leur propre définition et d’offrir de nouvelles lectures de leurs collections et de leurs histoires disciplinaires, réflexions qui me semblent aujourd’hui indispensables alors que nous appréhendons l’avenir des institutions culturelles – et des musées en particulier:

Utiliser de plus en plus les collections, les objets et les œuvres comme autant d’occasions de créer des connaissances interdisciplinaires, de poser des questions universelles et d’ouvrir des discussions pertinentes avec le public.

Ouvrir le site du musée aux contenus/matériaux et aux histoires provenant de l’extérieur, c’est-à-dire partager la souveraineté interprétative, afin que les connaissances institutionnelles et sociales se rencontrent et s’enrichissent mutuellement.

Défendre le lieu culturel en tant qu’espace de liberté par rapport à la consommation et à la performance, au sein duquel il ne s’agit pas d’augmenter la production, mais d’accroître les connaissances et la communauté.

C’est bien parti, je souhaite à celles et ceux qui font Plateforme 10, de la patience, de la passion et du courage, cela en vaut la peine.

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