Si les collections de Photo Elysée constituent indéniablement le trésor du musée lausannois, celui-ci est longtemps resté caché. Dans les réserves se terrent 1,2 millions de phototypes acquis, cumulés et stockés durant les 35 années d’existence de l’institution. S’ils ont régulièrement été présentés au public au gré d’expositions temporaires, ils n’ont par contre jamais bénéficié d’un espace dédié sur le long terme. A l’aube de son déménagement à Plateforme 10, Photo Elysée a décidé de mettre en valeur son patrimoine photographique en consacrant l’un de ses espaces d’exposition à ses collections, et ce pour la première fois de son histoire.

Une exposition en mouvement

Pour les équipes, mettre sur pied une salle des collections n’est pas une sinécure. Il s’agit de réfléchir à la façon dont le musée veut mettre en avant ce qui constitue finalement sa colonne vertébrale. Pour ce faire, il a fallu déterminer plusieurs facteurs: que montrer parmi ces innombrables objets, comment les exposer et que leur faire dire? N’ayant jamais eu de salle des collections, l’une des premières étapes a été d’observer ce qui se fait ailleurs, dans d’autres institutions européennes. Prendre des notes, s’inspirer, mais ne jamais copier: «Puisqu’on partait de zéro, il était intéressant de se rendre compte de la façon dont certains musées avaient mis en place leur exposition permanente, mais très peu de choses correspondaient à ce qu’on voulait faire à Plateforme 10», détaille Pauline Martin, conservatrice et responsable du département exposition.

Adrien Constant-Delessert, «Vue de la Cathédrale sous la neige, Lausanne», vers 1860. ©Collections Photo Elysée, Lausanne

Les équipes ont donc commencé à penser à ce nouvel espace de près de 160 m2 dans le but qu’il reflète au mieux ce qui constitue une partie de l’ADN de l’Elysée. Il est rapidement ressorti des premières discussions la volonté d’insuffler du mouvement à cette exposition, une idée audacieuse et originale pour que permanence ne soit pas synonyme d’immobilité: «Depuis 35 ans, nos collections ont toujours été en mouvement, par le biais de nouvelles acquisitions, des différents inventaires, des changements de directions, etc. Elles sont vivantes et il fallait donc que notre salle des collections en soit le reflet et ne pas montrer au public quelque chose de poussiéreux», illustre Pauline Martin.

60 thématiques, 600 œuvres, 6 années d’exposition

Marc Donnadieu, conservateur en chef, fait alors une première proposition sur la base du jeu des sept familles. C’est à partir de là que les équipes vont broder pour arriver à un concept de thématiques qui se relayeront au fil des mois au sein de cet espace. C’est à Lars Willumeit, responsable de projets d’exposition, que revient ensuite la lourde tâche de passer en revue les collections numérisées. Un travail de fourmi qui lui permet d’identifier soixante thématiques au sein desquelles s’inscrivent l’ensemble des phototypes du musée. «Il m’a fallu quatre mois pour pouvoir faire un inventaire complet, de la première photographie à la dernière, raconte-t-il. Pour mettre en avant des thématiques, je me suis surtout basé sur les images, c’était un travail beaucoup plus visuel que réflexif dans un premier temps.»

Soixante thématiques donc, qui seront exposées par lot de cinq, opérant un roulement tous les cinq mois et demi afin d’avoir toujours dix thématiques présentées au public. Chacune sera composée de dix images et, parmi celles-ci, deux seront mises en exergue pour ce qu’elles ont de spécial, ce qu’elles racontent de plus que les autres sur l’Elysée. Sur six ans, les visiteurs auront donc l’occasion de découvrir 600 phototypes tirés des collections et agencés par grandes familles, des autoportraits à la photographie de mode, en passant par le thème «symétrie» ou «l’acte d’image».


Jan Groover, «Sans titre», 1985. ©Photo Elysée, Lausanne – Fonds Jan Groover

Pour Tatyana Franck, directrice de Photo Elysée, c’est l’occasion d’offrir aux visiteurs un espace des collections inattendu qui «appelle à de nécessaires décalages mélangeant les genres, les techniques, les époques en faisant entrer en résonance les coups de cœur pour des images drôles, décalées, sérieuses, émouvantes, excentriques, marquantes». Car cet espace sert aussi à tisser des liens avec le public en le faisant participer activement à l’histoire du musée et à ses différents développements à travers le temps. «Mon souhait est de développer une véritable école du regard chez le public», conclut-elle en bonne pédagogue.

Exposer des œuvres fragiles

Au-delà des considérations artistiques, montrer temporairement chaque thématique se justifie aussi d’un point de vue de conservation. Photo Elysée met un point d’honneur à exposer ses originaux, ce qui lui impose un soin particulier. «Nous plaçons la matérialité de nos collections au centre de notre travail. Il était donc exclu de présenter au public de simples tirages d’exposition, explique Pauline Martin. Par conséquent, cela nous oblige à être particulièrement précautionneux car les originaux ne peuvent être exposés plus de 3 à 9 mois en dehors des réserves qui possèdent des climats particuliers.»


Gabriel Lippmann, «Nature morte», vers 1891-1899. ©Collections Photo Elysée, Lausanne

Cette salle des collections impose aussi un nouveau rythme et de nouvelles contraintes aux équipes. A chaque thématique son accrochage spécifique, sur des chariots roulants modulables proposés par le studio de scénographie parisien Adrien Gardère, ainsi que sur les murs du musée. Des lieux qui vont donc constamment se métamorphoser durant six ans, le temps où seront suspendus à tour de rôle ces 600 phototypes triés sur le volet, véritables ambassadeurs des immenses collections de l’institution. Et après? «Nous n’avons pas encore décidé de ce que nous ferons par la suite, mais nous mettrons très certainement sur pied un nouveau concept», sourit Lars Willumeit. Alors même si exposer c’est aussi savoir faire le deuil de ce que l’on décide de ne pas montrer, Photo Elysée a amplement le temps de faire découvrir sa face cachée. Car cette salle des collections est là pour durer.

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