Charlotte Jud, bibliothécaire du Musée de l’Elysée. Lausanne. 27.10.2020. Eddy Mottaz /Le Temps

Franchir la porte de la bibliothèque du Musée de l’Elysée, c’est pénétrer dans un sanctuaire silencieux regorgeant d’histoires et d’images. Les rayons, tels des gratte-ciels de pin, offrent des monographies et collections rares. On se croit seul, a priori, dans ce temple de papier, lorsqu’un discret «bonjour» attire notre regard vers le fond du couloir. Derrière une pile de livres, dissimulée par l’écran d’un ordinateur, on devine la présence de la bibliothécaire Charlotte Jud, attelée à ses ouvrages.

A 22 ans, la Vaudoise, originaire de Vuibroye, est responsable de cataloguer les quelques 20’000 livres que possède le musée. Sur les étagères, des grands noms de la photographie épient les faits et gestes de la jeune femme: René Burri, Nicolas Bouvier, Andy Warhol ou encore Ella Maillart. Trois jours par semaine, Charlotte Jud répertorie et indexe des ouvrages photographiques, notamment pour le catalogue numérique où 2000 références numérisées peuvent déjà être consultées. Ce projet s’inscrit dans un projet qui prévoit de rendre l’entièreté de la collection du musée accessible en ligne.

Une forme d’hibernation

Jouxtant son bureau, une montagne de cartons. On déménage? «Pas avant encore un an, sourit Charlotte Jud. Ces boîtes appartiennent au fonds du galeriste suisse Kaspar Fleischmann. Sa collection compte plus d’un millier d’ouvrages… et 45 cartons!» Appréciant la lecture, mais ne se qualifiant pas pour autant de «rat de bibliothèque» ni d’«experte en photographie», la jeune femme explique que son métier ne lui est pas apparu comme une évidence.

A 17 ans, elle quittait le nid familial pour Lausanne afin d’entamer une formation en santé. Son souhait: devenir infirmière, à l’instar de sa mère et de sa grand-mère. «Mais je me suis vite rendu compte que cette voie ne me convenait pas, explique-t-elle. J’avais besoin d’indépendance et d’un environnement de travail calme.» Elle se lance alors dans un CFC d’agente en information documentaire (AID) à la Bibliothèque de Pully. C’est un stage de deux mois, en 2017, qui lui ouvrira les portes de la bibliothèque du Musée de l’Elysée. Elle s’y plaît immédiatement.

«L’atmosphère ici est apaisante. J’aime cette sensation d’être entourée d’archives précieuses qui hibernent en attendant d’être redécouvertes par des chercheurs et des photographes», dit-elle en balayant les étagères du regard. Mais les visiteurs sont rares. «Contrairement aux bibliothèques publiques, l’accès est réservé aux chercheurs académiques et aux professionnels de la photographie. En principe, je n’ai qu’une seule visite par mois.» Ne se sent-elle pas seule? «J’apprécie cette bulle, j’y ai trouvé mon rythme, ma routine», assure-t-elle.

Éclosion nocturne

Bibliothécaire au Musée de l’Elysée depuis deux ans, Charlotte Jud est connue par ses collègues comme étant de nature discrète. Pourtant, derrière son apparence taciturne se cache une véritable noctambule. Son look berlinois, avec une frange coupée courte, des piercings et des bottes en cuir noir, met la puce à l’oreille. Le soir venu, Charlotte Jud troque le silence des livres pour gratter des vinyles. Membre du collectif La Sacrée Déter, la Vaudoise, connue par ses pairs comme «Charlouze», organise et anime des soirées DJ. «J’aime offrir des espaces d’expression où les gens peuvent se sentir bien et questionner le statu quo.» Férue d’électro, elle a notamment cofondé l’association Space Dance, qui organise notamment le festival de musiques et de performances LSD, pour Lausanne Space Dance.

Son penchant pour les fêtes sauvages pourrait trouver sa source au cœur des vastes forêts bordant son chalet familial, aux Diablerets. «Avec mes sœurs et mon frère jumeau, on passait nos journées à explorer la nature» se remémore-t-elle. On est encore très proche. Mon frère est musicien, une de mes sœurs est créatrice de vêtements et de bijoux, l’autre est graphiste et tatoueuse.» C’est cette dernière qui l’initiera au graphisme. «Je produis des affiches pour La Sacrée Déter et des collages avec ma sœur, sous le pseudonyme Kmek + Tüt», explique-t-elle . Lors d’un atelier peinture, on était si insatisfaite de notre tableau qu’on a préféré le signer anonymement. Le pseudonyme est resté…»

«L’Heure du conte», collage papier
©Kmek + Tüt

La lumière du jour éclaire les cheveux châtain clair de la bibliothécaire. Dans un silence quasi-religieux, elle reprend l’étiquetage de ses ouvrages. Dichotomie ou harmonie? Une incarnation, peut-être, du fameux dicton: «Ne jamais juger un livre à sa couverture».

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