Nuit des images 2015 ©Reto Duriet

«La Nuit de la photo, c’était une grande garden-party!», se souvient André Rouvinez. Chef technique puis responsable de la muséographie et de la logistique au Musée de l’Elysée, l’homme a été la cheville ouvrière de toutes les premières Nuits de la photo, depuis 1987. « C’était une idée du directeur Charles-Henri Favrod. Il voulait ouvrir le parc du musée au public. » A cette époque en effet, le parc de l’Elysée n’était pas facilement accessible aux Lausannois et les vantaux du grand portail demeuraient fermés. Dès la première Nuit de la photo, le succès est au rendez-vous. 1500 billets sont vendus, mais on compte le double de visiteurs – à la faveur de la nuit et des buissons, les resquilleurs sont nombreux. Les habituels amoureux de la photographie se pressent sur les pelouses, rejoints par un public bien plus large.

Ella Maillart et Nicolas Bouvier à la Nuit de la photo 1992
©Jean Mohr / Musée de l’Elysée

La première édition, organisée en partenariat avec le magazine L’Hebdo et la Cinémathèque suisse, mêle photographie, danse, jazz et cinéma. Invitée de marque, Nan Golding présente sous forme de diapositives son « journal visuel », The Ballad of Sexual Dependency. Ses amis et les marginaux qu’elle photographie, issus du monde de la nuit, apparaissent magnifiés, projetés sur grand écran, dans les jardins de la maison de maître du XVIIIe siècle. L’artiste japonais Sai Kijima improvise, lui, une performance en dansant nu dans le parc. Le ton est donné: la « garden party » n’a rien de bon chic bon genre». Engagée, elle reflète la vitalité de la création contemporaine.

Des négatifs dans un soutien-gorge

Le photojournalisme, passion de Charles-Henri Favrod, occupe une place de choix. L’édition de 1989 présente des images saisissantes des répressions des manifestations étudiantes de Tian’anmen, à Pékin. « Nous avons pu avoir ces images grâce à Christian Caujolle, de l’agence Vu, proche du quotidien Libération », se souvient André Rouvinez. « Caujolle nous a dit: une photographe est revenue de Chine avec des négatifs cachés dans son soutien-gorge. Est-ce que cela vous intéresse?» L’exposition des clichés de Davy et Zhang Hai est montée en 12 jours, un temps record. «C’était un bricolage génial et tout le monde jouait le jeu! C’est grâce au travail de toute une équipe que l’on pouvait y arriver», sourit André Rouvinez. Jusqu’à l’édition 1994, qui voit la Nuit de la photo s’interrompre, l’événement se développe, se professionnalise, s’associe à des sponsors de poids. Il fait venir Sebastião Salgado, René Burri, Ella Maillart, Sabine Weiss ou Bettina Rheims, Mario del Curto ou Luc Chessex.

Nuit des images 2015 ©Reto Duriet

Le nouveau directeur du musée, William A. Ewing, fait renaître la Nuit de la photo deux ans plus tard, en 1996. L’édition de 1998 voit débarquer Richard Gere, au bras de la James Bond Girl Carey Lowell. L’acteur hollywoodien crée une quasi-émeute de fans dans le parc. Il est venu présenter ses photographies du Tibet, et assister, en toute discrétion, au concert « Amnésie internationale », donné sur le terrain de sport du collège voisin. C’est le spectacle multimédia du groupe des Nouveaux Monstres, formé par les musiciens vaudois Léon Francioli et Daniel Bourquin. Les deux « monstres » jouent devant un écran où défilent 400 clichés de l’agence Magnum retraçant toute l’histoire de l’après-guerre, jusqu’à la chute du mur de Berlin (1945-1989).

Projections féériques

Nouvelle interruption, puis reprise de la manifestation chère au public lausannois en 2011 par Sam Stourdzé, sous le nom de Nuit des images. L’événement réunit 60 artistes et 40 productions ; sept écrans sont installés. Des cartes blanches sont confiées à la Cinémathèque suisse, à l’ECAL, au Département Cinéma/cinéma du réel de la HEAD de Genève, à la galerie CoalMine, et à la Fondation Suisse pour la photographie. Les 30 ans du musée, en 2015, sous la direction de Tatyana Franck, attirent 11’000 personnes, un nouveau record.

Charles-Henri Favrod, Nuit de la photo 1992 ©Jean Mohr, Musée de l’Elysée

Les Nuits des images investissent les pelouses mais également des recoins méconnus du parc, intimistes et secrets. La maison de bric et de broc ensorcelée qu’Augustin Rebetez et Noé Cauderay construisent en 2013 dans la petite forêt, à gauche en entrant dans la propriété, reste dans les mémoires. Tout comme les projections féériques de Brigitte Lustenberger, dans la même forêt, en 2016. La même année, dans une « grotte » sous le parc, on peut découvrir le film d’une beauté saisissante Voir la mer, de Sophie Calle: les visages d’hommes et de femmes qui font face à la mer pour la première fois de leur vie.

Regardons sous la pluie

Parmi tant de souvenirs, la conservatrice et programmatrice de l’événement Pauline Martin cite l’édition de 2017, un très bon millésime, avec un concert de Stephan Eicher, une conférence de Joan Fontcuberta, une performance d’Emmanuelle Antille entre danse et vidéo.

Nuit de la photo et Nuit des images ont été l’occasion pour les visiteurs de se faire eux-mêmes photographier, de se mettre en scène ludiquement, notamment sous l’objectif de Francis Traunig, entre 2011 et 2013, ou en rendant hommage au Saut dans le vide de l’artiste Yves Klein, en 2017. Des ateliers de sténopés ou de flip-book, une camera obscura géante, leur ont permis de comprendre les origines de la photographie et du cinéma. L’événement a été à chaque fois tributaire des aléas de la météo, qui a obligé les organisateurs et les nombreux bénévoles œuvrant à sa réalisation à une grande souplesse. Pauline Martin se souvient du violent orage qui a surpris tout le monde en 2014: « Pendant le dialogue entre deux grands photographes de guerre, Patrick Chauvel et Matthias Bruggmann, il a commencé à pleuvoir des cordes… Mais tout le public est resté groupé, immobile, pour les écouter! »

René Burri, Nuit des images 2013 ©Sebastien Montandon

Lorsque la programmation prenait fin, vers 2 heures du matin, l’équipe se réunissait pour décompresser jusqu’au petit matin, dans une ambiance d’after party inoubliable. Après la 9e et dernière édition de 2019, qui a mis l’accent sur la création des femmes et attiré 7500 visiteurs, la Nuit des images attend aujourd’hui sa renaissance sur le site de Platerforme 10.

En attendant, le Musée de l’Elysée vous invite à partager vos plus beaux souvenirs, anecdotes ou photographies des éditions précédentes en participant au concours Vos plus beaux souvenirs de la Nuit des images jusqu’au 18 juillet 2021.

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