Il faudrait au moins mille vies pour raconter celle de Laurence Hanna-Daher. Assistante de direction depuis septembre 2006, elle est une des vétérantes du Musée de l’Elysée. Quinze ans au même endroit, une preuve de sédentarité ? Il n’en est rien. Avant d’intégrer l’institution lausannoise, elle a longtemps bourlingué à travers le monde. L’Europe en stop, les Etats-Unis, l’Amérique du Sud, le Proche et le Moyen-Orient, et même une traversée de l’Atlantique en voilier au début des années 1990! La vie de Laurence Hanna-Daher semble tout d’abord appartenir à la route et au mouvement.

Après plusieurs voyages au Liban, c’est finalement au Pays du Cèdre qu’elle prend racine. Loin de sa Suisse natale, elle y enseigne les arts plastiques au sein de la mission laïque française et y voit grandir ses enfants: «C’était une immense chance de les élever à la fois avec des repères occidentaux tout en évoluant au sein d’une société diamétralement différente. Ça leur a permis d’élargir leur horizon de pensée et de réfléchir à travers le prisme de différentes cultures.» Malheureusement, l’Histoire rattrape la famille Hanna-Daher. En 2006, le conflit israélo-libanais atteint son paroxysme. C’est l’événement de trop dans un pays déjà miné depuis de nombreuses années par la guerre et l’insécurité. Réfugiée sous une table pour se protéger des bombardements, la Romande a juste le temps de répondre à l’annonce d’un musée situé à près de 4000 kilomètres de chez elle. Elle ne le sait pas encore, mais c’est le début de son histoire à l’Elysée.

Se sentir à sa place

Après un périple mouvementé de plus de deux semaines, elle arrive en Suisse au volant de sa voiture, son fils aîné sur le siège passager. «En 48 heures, j’ai empaqueté 25 ans de ma vie dans des valises et j’ai quitté le Liban. J’ai appuyé sur l’accélérateur et n’ai freiné qu’en arrivant à la frontière Suisse.» Dans l’urgence pendant des jours, c’est finalement sur un banc du parc de l’Elysée, à la fin de l’été, que Laurence Hanna-Daher réalise qu’elle est bel et bien arrivée à destination: «C’est le premier moment où j’ai réussi à lâcher prise. J’ai ressenti une immense sensation de calme. Face aux Alpes et au lac, je me suis dit: voilà, ta place est ici.»

C’est William «Bill» Ewing, second directeur de l’institution lausannoise, qui l’accueille. Elle garde de lui le souvenir d’un homme passionné, presque habité par la photographie. Elle, n’y connait pas grand-chose, mais peut bénéficier de l’envie de transmettre de celui qui restera jusqu’en 2010 à la tête du musée. Elle se souvient aussi avec nostalgie des premières pauses café ou des déjeuners dans le parc entre collègues. De précieux moments pour une néophyte: «Chaque personne du musée a son propre regard sur cet art et le partage avec passion. Pour moi, c’était une grande source d’émerveillement. Je me suis nourrie de ces échanges et ça m’a donné envie d’en savoir plus sur cette pratique.»

Pour celle qui s’émerveille devant les pivoines de Fantin-Latour ou le semeur de Vincent van Gogh, travailler dans le monde de l’art est aussi une évidence. Là où les mots parfois trébuchent, l’Art, lui, ne ment jamais selon elle: «C’est une forme de communication exceptionnelle et un fabuleux outil de compréhension du monde. L’Art permet l’apprentissage et l’émerveillement. Il est pour moi une absolue nécessité pour atteindre la complétude.»

«Faut voir» 

Avoir la certitude que l’on est à sa place, c’est aussi voir ses mentors se succéder. En 2010, elle vit son premier passage de témoin – Sam Stourdzé prenant la place de William Ewing – sans pourtant craindre que l’ADN de l’Elysée ne change. Pour Laurence Hanna-Daher, tout est une histoire d’adaptation: «A chaque changement de direction, c’est un nouveau défi. Sam Stourdzé, comme Tatyana Franck plus tard, ont apporté avec eux leur chemin de vie, leur vision et leurs valeurs. Il faut ensuite savoir y répondre. Mais il n’y a jamais eu de fracture, cela s’est toujours fait progressivement.»

Résolument ancrée dans le présent, Laurence Hanna-Daher a toujours préféré faire confiance tout en refusant de craindre l’inconnu. En bonne Vaudoise, sa façon d’aborder la nouveauté peut se résumer en un «faut voir» plein d’entrain, accompagné d’un candide hochement d’épaules. Et quand on lui demande quelles étaient les caractéristiques de chaque direction, c’est surtout sur leurs similitudes qu’elle préfère s’attarder: «Bill, Sam et Tatyana ont tous les trois une incroyable intelligence, chacune spécifique dans leur domaine. Ils ont tous apporté quelque chose de différent mais toujours en tenant compte de l’avis des autres et avec une ferme volonté de travailler ensemble.»

15 ans de nouveaux défis

Après 15 ans au Musée de l’Elysée, on ose, presque honteusement, se demander ce qui la retient encore au sein des murs de l’institution: «Je pense que c’est en grande partie grâce à la bienveillance de chaque direction que je suis toujours là. Et vu mon passé de nomade, on sait comment je suis capable de prendre la poudre d’escampette. Ce n’est donc pas un maigre exploit», rit-elle. Un autre aspect du musée qu’elle chérit tout particulièrement: avoir sans cesse de nouveaux défis à relever au sein d’une institution en constante évolution.

De 2006 à aujourd’hui, elle garde notamment en mémoire les innovations technologiques et le virage du numérique. Une révolution que les équipes ont dû penser afin de proposer un musée dédié à toutes les photographies. En 15 ans, elle a aussi vu les équipes passer de 20 à 45 collaborateurs, les espaces évoluer, les expositions se succéder pour arriver à ce qu’elle considère aujourd’hui comme un bijou.

«Un magnifique cadeau pour la photographie»

Un bijou en constante transformation, qui fera peau neuve en 2022 en intégrant Plateforme 10. Ce déménagement ne rend pas Laurence Hanna-Daher indifférente, elle qui a entretenu un rapport particulier, presque fusionnel, avec le parc et la vieille maison de maître de l’avenue de l’Elysée: «Je vais regretter la nature et les parquets qui grincent, c’est certain, sourit-elle avec nostalgie. Ce dont je me réjouis par contre, c’est de voir regroupées toutes nos équipes au même endroit. Et ce déménagement, c’est surtout un magnifique cadeau pour la photographie et pour les Vaudois. Ça s’inscrit dans la suite logique des choses, et franchement, ce n’est que du bonheur.»

Depuis 2006, elle a pu voir le musée changer, muter, mûrir même, un peu comme un enfant qui grandit et que l’on accompagne dans son cheminement. A sa réouverture en 2022, il ne ressemblera en rien à celui rencontré un beau jour de septembre, il y a de cela quinze ans. Si les parquets grinçants et le parc surplombant le lac resteront bien sagement à la même adresse, Laurence Hanna-Daher emportera avec elle ses souvenirs et ceux du musée, elle qui est devenue au fil du temps l’une des mémoires de l’Elysée.

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