Arthur Brugger et Mathias Velati © Christophe Chammartin pour Le Temps / L’Elysée hors champ

Une simple rencontre autour d’un café. C’est comme ça que les chemins d’Arthur Brügger et de Mathias Velati se sont croisés, avec comme toile de fond le Musée de l’Elysée. C’était il y a plus de sept ans, Arthur était alors civiliste et Mathias engagé par le biais de Passerelle Culturelle, formation spécialisée pour des jeunes en difficulté de développement ou d’apprentissage. Une rencontre fortuite, qui aurait simplement pu rester celle de deux collègues, une relation de travail aussi cordiale qu’éphémère. Mais il s’avère que les deux partagent une passion commune: l’écriture.

«Je me souviens de ses carnets qui débordaient littéralement de mots. Etant moi-même écrivain, nous avons tout de suite échangé à ce propos», se remémore précisément Arthur. Quand on demande à Mathias ce qui pouvait à ce point titiller son imagination pour noircir autant de pages, il se fait plus pensif: «J’écrivais sur toutes sortes de choses, les expositions, les photos…»

Les écrits de Mathias ne restent pas longtemps un simple sujet de discussion. Sa formation avance à grand pas et il devient vite évident que c’est autour de ses bloc-notes que va s’articuler son travail de fin d’étude. Convaincu par la plume de Mathias, Arthur se greffe au projet et se mue alors en mentor, ou coach d’écriture, avec le soutien de Raquel Pérez Baena, ancienne coordinatrice de Passerelle Culturelle, et Lola Nadel, alors éducatrice au sein de cette formation spécialisée. C’est ainsi que débute l’aventure.

L’élève et le mentor, l’écrivain et l’éditeur

Entouré de photographies, Mathias choisit rapidement son sujet: «Je trouvais chouette d’écrire sur des images, il y en avait beaucoup qui me plaisaient, surtout les paysages. J’ai fait en fonction de mes coups de cœur.» Il y en aura 25, tous provenant des collections anonymes du musée. Les deux acolytes y passent des heures, agenouillés dans les cartons pour dénicher la perle rare. Un cliché de Jupiter, une barque sur le lac ou encore un bédouin à cheval. «On a fouillé les collections ensemble mais je ne suis intervenu sur aucun de ses choix», précise Arthur. Et à Mathias de le couper: «Oui, et j’ai aussi choisi mes contraintes. 25 contraintes, une par texte. La plus dure, c’était d’écrire sans la lettre A.» Un parfum oulipien semble se dégager de ce livre qui résiste aux qualificatifs. La question reste d’ailleurs en suspens, aucun des deux ne semblant avoir une opinion arrêtée sur cette œuvre hybride. Laissons-la peut-être voguer entre l’exercice de style, la poésie en prose ou le livre combinant photos et textes…

Mathias Velati ©Christophe Chammartin pour Le Temps / L’Elysée hors champ

Au fur et à mesure de l’avancée du projet, leur relation s’intensifie. A leur travail au Musée de l’Elysée s’ajoutent désormais d’intenses séances de relecture. Pour cela, ils écument les cafés lausannois, premiers théâtres des mots de Mathias. «On faisait de la lecture à haute voix, c’est plus sympa que de tout le temps lire dans sa tête», se souvient-il. Pour l’un comme pour l’autre, ce projet littéraire n’est cependant pas une sinécure. Mathias écrit pour la première fois avec un planning à respecter. Lui qui n’a pourtant pas peur des contraintes peine parfois à trouver aussi facilement l’inspiration que lorsqu’il se les impose à lui-même.

Arthur découvre quant à lui le travail de mentor littéraire, véritable numéro d’équilibriste: «Avec Mathias, j’inventais clairement à vue. Je devais chaque fois me demander si je n’intervenais pas trop dans son texte, tout en lui prodiguant quand même conseils et remarques. Je suis arrivé à la conclusion que mon rôle était avant tout de conscientiser certaines de ses décisions. Lui faire mettre des mots sur le choix de ses propres mots.» Et si Mathias ne devait retenir qu’un conseil de ces nombreuses séances ? «Je me souviens qu’Arthur m’a souvent dit d’éviter de me répéter», sourit-il sous son masque.  

Voyage voyage

Ce projet est aussi une aventure humaine. Mathias s’est petit à petit transformé en véritable auteur, et Arthur a troqué pour l’occasion ses habits d’écrivain pour ceux d’éditeur. De la genèse du projet à la promotion du livre, de l’imprimerie en Italie aux choix graphiques, le duo participe à toutes les étapes. Une première pour Mathias, mais également pour Arthur: «En règle générale, jamais un auteur n’a une si grande liberté éditoriale. C’était très jouissif pour moi, qui ai finalement assuré la promotion et l’édition du livre, mais également et surtout pour Mathias qui a pu choisir jusqu’à la typographie de la couverture ou le choix du papier.»

Arthur Brugger ©Christophe Chammartin pour Le Temps / L’Elysée hors champ

Une liberté qui leur fait même traverser les Alpes, road trip improvisé qui reste d’ailleurs pour le mentor et son élève un des souvenirs les plus mémorables de cette période: «On s’était donné rendez-vous à 4h30 du matin avec la graphiste et on est tous parti dans une petite voiture pour arriver au moment des premières impressions dans la banlieue d’Aoste. Il y avait une atmosphère de course d’école…» Et à Mathias de renchérir: «C’était vraiment un bon moment, on a même pu emprunter le tunnel du Gothard.» Un voyage qui l’a d’ailleurs tellement marqué que ses premiers mots de remerciements lors du vernissage seront pour les imprimeurs transalpins. Une anecdote qui continue de faire rire Arthur.

Sélectionné dans la catégorie livre Photo-Texte, Histoires du bout du monde en scrutant l’horizon les emmènera encore aux Rencontres d’Arles et intégrera le catalogue du Musée de l’Elysée. Plus qu’un livre, cet ouvrage est surtout le témoignage d’une collaboration hors norme. Entre les mains d’Arthur et de Mathias, il semble en tout cas être une précieuse mine de souvenirs, un curieux lien entre deux personnes amoureuses des mots, chacune à leur façon. Aujourd’hui, les cafés lausannois sont fermés et leurs séances de travail paraissent lointaines. Mais tous les deux continuent d’écrire. Mais sur quoi alors? «Oh, un peu sur tout», sourit Mathias, mi-espiègle, mi-rêveur. On n’en saura pas plus…

Mathias Velati, «Histoires du bout du monde en scrutant l’horizon», Ed. Musée de l’Elysée, 176 pages.

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