Gabriel Lippmann, “Autoportrait” © Photo Elysée

Avant de devenir un art, la photographie est une invention scientifique, dont l’histoire est jalonnée d’étapes passionnantes. Le procédé de reproduction photographique des couleurs par une méthode interférentielle en est un bel exemple, relativement peu connu. Mis au point à la fin du XIXe siècle par le physicien Gabriel Lippmann (1845-1921), il lui vaut en 1908 le prix Nobel – seul dans l’histoire à avoir jamais récompensé un procédé photographique.

Parmi ses trésors rarement exposés, Photo Elysée compte la plus grande collection au monde de plaques Lippmann, soit 138 plaques – sur les quelques 250 existantes – réalisées de la main de leur inventeur, et léguées au musée dans les années 1990 par les héritiers du scientifique. Cet ensemble bien particulier témoigne de la richesse de l’institution en matière d’histoire des techniques photographiques.

Gabriel Lippmann, “Le Cervin, 1891-1899 © Photo Elysée, Lausanne

Si cette méthode « directe » de photographie couleur est révolutionnaire, c’est qu’elle est la seule, non pas à reproduire la couleur à l’aide de pigments et de colorants, mais à enregistrer directement l’onde lumineuse qui produit les couleurs, au moment de la prise de vue. Chaque couleur possède en effet une longueur d’onde spécifique, enregistrée grâce à ce procédé dans une couche de gélatine photosensible posée sur une plaque de verre. Les mouvements vibratoires de la lumière sont emprisonnés, fixés directement. Là où les techniques de photographie ne se fondent en général que sur la trichromie, le dispositif de Lippmann permet de capturer un nombre important d’échantillons spectraux reflétés sur la plaque. Il en résulte une image parfaitement nette et des couleurs pures, inaltérées, très fidèles à la réalité.

Un objet difficile à exposer

Recherchant les sujets colorés, Gabriel Lippmann a d’abord choisi de capter des spectres lumineux, qui contiennent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Ses thèmes de prédilection, qui revisitent les grands sujets de l’histoire de l’art, se portent ensuite sur les fleurs, les natures mortes, les paysages, les portraits, les peintures et les vitraux également. On lui doit la première photographie en couleur du Cervin. Les paysages suisses l’inspirent, de même que Venise et la France, où il réside – Lippmann était professeur de physique expérimentale à la Sorbonne et membre de l’Institut.

Uniques, car non reproductibles, les plaques Lippmann sont aussi des objets à part en raison des difficultés qu’elles posent pour être vues et exposées. Il faut en effet les orienter d’une certaine manière et les observer sous un certain angle si l’on veut que l’image se dévoile. Photo Elysée a collaboré avec l’EPFL – dont certaines équipes travaillent par ailleurs à la modélisation de la technique d’imagerie Lippmann et à la manière dont celle-ci pourrait inspirer des développements technologiques futurs – pour élaborer une vitrine permettant au visiteur d’observer l’image plus facilement. Jusqu’ici, Gabriel Lippmann, personnage à cheval entre les milieux scientifiques et photographiques, n’a fait l’objet d’aucune exposition monographique dans un musée d’art. Son invention a davantage intéressé les scientifiques, et seuls quelques exemplaires de plaques ont été montrés ici ou là dans des expositions collectives de photographies.

A découvrir en mars 2023

En mars 2023, une exposition présentera au sein de l’espace LabElysée de l’institution un premier ensemble de plaques, qui permettra de faire comprendre au public le fonctionnement assez complexe de leur procédé. Une manière aussi de faire un premier état des lieux de la vaste recherche en cours sur le sujet. Photo Elysée œuvre en effet actuellement au catalogue raisonné des plaques Lippmann.

Gabriel Lippmann, Soleil couchant et glacier, vers 1891-1899 © Photo Elysée, Lausanne

Si le procédé, en raison des difficultés techniques que pose sa mise en œuvre, n’a jamais été largement développé, il a été repris par certains artistes, aujourd’hui encore. L’œuvre de Lippmann amène à tracer des ponts non seulement entre photographie et science mais aussi entre la photographie et la peinture. Ses bouquets de fleurs sont des joyaux, la lumière capturée sur la plaque devient comme un pinceau dont l’éclat intact surgit de l’ombre.

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1 commentaire

  1. Jean-Daniel Bancal Reply

    Bonjour, l’article mentionne que “Mis au point à la fin du XIXe siècle par le physicien Gabriel Lippmann (1845-1921), [le procédé] lui vaut en 1908 le prix Nobel – seul dans l’histoire à avoir jamais récompensé un procédé photographique.” Or la photographie a bénéficié de davantage de prix nobels que celui de 1908. Comme le mentionne wikipedia dans son article sur les dispositifs à transferts de charge, “L’invention des capteurs CCD est attribuée à Willard Boyle et George E. Smith, couronnés en 2009 du prix Nobel de physique, en même temps que Charles Kao, pour ses recherches fondamentales dans le domaine des fibres optiques.”
    Meilleures salutations!

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