© Olivier Vogelsang

C’est en capitaine, seule à bord, que Nathalie Choquard ouvre la porte de l’ancien bâtiment du Musée de l’Elysée, à l’avenue du même nom, et dont l’entrée donne directement sur la librairie. Nulle dérive pour ce lieu qu’elle pilote depuis 1999, qui ressemble désormais à une cale sèche à cause du déménagement de l’institution. Les livres sont toujours là, mais pas les visiteurs; le temps semble presque figé au milieu des bibliothèques. «Ça commence à faire un peu long, avoue-t-elle derrière un demi-sourire. Je ne fais plus vraiment mon travail de libraire comme auparavant. La relation avec les clients me manque.» La perspective du déménagement qui se rapproche à grands pas lui redonne cependant des couleurs. Un nouveau défi pour la gardienne des livres de l’Elysée. «Le dernier?», ose-t-elle questionner à haute voix.

Les premiers pas de Nathalie Choquard en librairie remontent à loin. Comme cela arrive souvent, ce n’était pas forcément à cette carrière qu’elle se prédestinait. Mais la vie, les occasions, les hasards sont parfois, souvent, plus forts qu’un premier choix d’études. Elle a tout d’abord occupé les bancs d’une école d’infirmière. Mais la bougeotte la gagne. Juste avant de décoller pour l’Islande, elle découvre Artou, une librairie de voyage spécialisée dans les guides sur l’Asie. Une première rencontre qui ne se transforme pas tout de suite en coup de foudre. Ce n’est que cinq ans plus tard qu’elle finit par y postuler : «Je n’y connaissais pas grand-chose en matière de bouquins. Mais j’avais beaucoup voyagé, et j’y suis allée au culot.» Ça a fonctionné. Elle y reste cinq ans. C’est le début de son aventure littéraire.

Un voyage jusqu’à l’Elysée

Elle arrive ensuite à feu La Cause du peuple, aujourd’hui Basta!, une librairie autogérée spécialisée dans les sciences humaines. Dix ans sans patron qu’elle décrit comme une véritable école de vie et une magnifique prise d’indépendance. Un bagage qu’elle déménage jusqu’à l’Avenue de l’Elysée 18, où le directeur de l’époque, Bill Ewing, décide à la toute fin des années 1990 de rajouter des pages à la photographie. «A cette période, les musées souhaitaient de plus en plus offrir une sorte de prolongation à leurs expositions. A l’Elysée, ça a pris la forme d’une librairie», précise Nathalie Choquard.

A son arrivée, tout est encore à créer. Et ça tombe bien car si elle n’est pas encore totalement familière avec la photographie, elle sait y faire avec les livres. Alors que le musée sous-traitait sa librairie à une maison d’édition zurichoise, elle propose de reprendre les rênes des lieux. Bill Ewing accepte la proposition de la désormais libraire, ses quinze ans d’expérience entourée de bibliothèques parlant pour elle.

Conseiller, composer, apprendre

Nathalie Choquard l’assume, elle n’était pas une spécialiste du 8e art. Mais elle apprend vite, et surtout, elle a d’autres atouts. Le fonctionnement d’une librairie, c’est son rayon. Avec la bénédiction du directeur de l’époque, elle s’empresse donc d’apporter des solutions de gestion efficaces, avec une base de données qu’elle utilisait avant d’arriver à l’Elysée. Et en contrepartie, elle se familiarise avec la photographie. Conseiller de la littérature, c’est une chose, trouver la perle rare parmi les livres photo, c’en est une autre: «C’est une approche différente, on ne vient par exemple que très rarement me demander un titre précis. On me transmet plutôt une thématique assez générale avec laquelle je dois composer. Mais j’adore deviner ce que les gens aiment et leur faire des propositions.»

C’est donc par sa propre initiative qu’elle s’intéresse à ceux et celles qui façonnent les livres qu’elle vend. Elle se met à voyager en Suisse, mais aussi à l’étranger, à Paris Photo, aux Rencontres d’Arles, pour aller s’inspirer de ce qui se vend et se fait ailleurs. Car le marché du livre se porte bien, presque trop de son propre aveu. Le numérique n’a en effet pas (encore) supplanté le toucher et la graphie des pages qui se tournent: «Les galeries et les expositions, ça ne dure qu’un temps. Presque tous les photographes veulent leur livre!»

Vendre des livres, faire des livres

Tous, même les libraires. Nathalie Choquard décide de sauter le pas en 2011. Genevoise d’origine mais Lausannoise d’adoption, elle a longtemps habité les alentours du musée. Son sujet est tout trouvé, il suffit d’enjamber l’avenue de l’Elysée pour se plonger dedans: la piscine et patinoire de Montchoisi. Une sorte de diptyque été-hiver qu’elle a laissé le soin de réaliser aux photographes Nicole Hametner et Nicolas Savary. Derrière leur objectif, on découvre, esthétisé, ce pur produit de loisir urbain drapé de béton gris et froid, coloré par les maillots de bain ou les tuniques de patineuses. «Les deux photographes avaient carte blanche pour traiter le sujet. Quant à moi, je me suis occupée de tout le reste: l’édition, la recherche de fonds, le choix des graphistes… C’était une incroyable aventure, même si je n’ai pas pu tout contrôler de A à Z.»

Après y avoir habité puis travaillé pendant 22 ans, quitter le quartier de Montchoisi n’est pas anodin pour Nathalie Choquard. Un mélange d’émotions quelque peu tiédi cependant par la pandémie et le temps long du déménagement: «Ça me fait tout drôle de préparer petit à petit mes cartons. Il y a toute une histoire, une ambiance à l’Elysée 18, et je m’étais bien approprié les lieux. Aujourd’hui, j’avoue me réjouir que Photo Elysée arrive à Plateforme 10, et ainsi sortir de cette espèce d’entre-deux.»

© Olivier Vogelsang

La librairie prendra aussi une autre dimension en s’installant dans le flambant neuf quartier des arts. Surtout, elle ne sera plus seule et partagera ses locaux avec la boutique du mudac. Une mue qui réjouit plutôt Nathalie Choquard: «A Plateforme 10, ce sera un stimulant saut dans l’inconnu. La librairie-boutique sera aussi l’occasion de se placer comme liant entre les deux institutions qui partageront le même bâtiment.»

Créer des synergies et fusionner ses forces avec celles de la responsable de la boutique du mudac: des perspectives bienvenues après une forme d’engourdissement imposée par le déménagement et le covid. Et peut-être aller une fois encore plus loin que la «simple» vente de livre. Nathalie Choquard, décidément libraire, avec toujours ce petit quelque chose en plus.

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2 commentaires

  1. Jean-Marc Eldin Reply

    Lisant l’article consacré à Nathalie Choquard, je me permets de relever une bien vilaine coquille: “elle propose de reprendre les reines des lieux”. Il faut reconnaître, à votre décharge, que prendre les rênes d’un lieu est déjà “audacieux” en soi (autant mener la vie à grands guides!), quand bien même, déménageant, un musée accède à la mobilité.

    Mais n’y voyez que le commentaire amical d’un ancien “collaborateur” ayant gardé un fort bon souvenir de son travail de relecture, correction et mise en page des éditions françaises des deux volumes consacrés à Steichen (et singulièrement de celle du musée) et par ailleurs nostalgique de Lausanne, et qui, pour tout dire, ne rêverait que d’avoir le plaisir et le privilège de retravailler avec l’Élysée — le vôtre, pas le mien, pauvre Parisien que je suis.

    Bien chaleureusement,
    Jean-Marc

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