Charles-Henri Favrod, Direktor des Fotomuseums “Musee de l’Elysee” in Lausanne, aufgenommen am 13. Maerz 1992 im Park des Museums. (KEYSTONE/Str)

On l’a parfois un peu oublié: à sa naissance en 1980, le Musée de l’image abritait, outre un fonds photographique, des collections consacrées à l’estampe et à l’historiographie vaudoise. Mais c’était bien sûr la photo qui en faisait la particularité. «La Suisse romande a enfin un musée de la photographie», se réjouissait ainsi la Gazette de Lausanne le 8 novembre 1980. «Le Musée de l’Elysée bénéficie d’une collaboration avec la Fondation nationale pour la photographie de Zurich, présidée par Nicolas Bouvier, et mettra à sa disposition une petite salle pour l’accrochage de quelques pièces de son fonds […] Il abritera un double de son fichier et échangera avec elle ses expositions: une bonne nouvelle pour les Romands, plus besoin de courir au Kunsthaus!» Le deuxième partenaire est l’association lausannoise Photographie contemporaine, qui acquerra des œuvres contemporaines. C’est une femme photographe qui a été la première exposée dans ce cadre, Henriette Grindat. Mais dès l’inauguration, la Gazette prévient: «On se demande comment un seul conservateur épaulé par une assistante à mi-temps et une secrétaire viendra à bout de ce riche programme.»

Un an plus tard, l’Elysée n’est encore qu’une «Annexe» de la Fondation de la photographie zurichoise qui fête ses 10 ans, toujours selon la Gazette de Lausanne. Les expositions s’égrainent: Marcel Imsand en 1982, Christian Coigny en 1983, Jean-Philippe Charbonnier et Jean Mohr en 1984… Jusqu’à ce titre accusateur en mars 1985: «La clarté par le vide ou l’incroyable suffisance des responsables de la culture.» Car c’est officiel, la Fondation William Cuendet et Atelier de Saint-Prex retirent leur formidable fonds d’estampes de Dürer et Rembrandt pour les déposer au Musée Jenisch, après des années d’incurie administrative. Et le journaliste d’insister: «Tricéphale, le Musée de l’Elysée n’a jamais eu de fonction bien définie […] Le Musée de l’Elysée est mort.»

L’arrivée du «patron», Charles-Henri Favrod

Avant la «sortie du tunnel» comme écrit toujours la Gazetteen août 1985: le Conseil d’Etat redéfinit finalement la vocation du musée et le confie à Charles-Henri Favrod. «Enfin un patron! […] L’option de le consacrer entièrement à la photographie est courageuse et à notre sens parfaitement judicieuse. Elle a conquis depuis longtemps ses lettres de noblesse et connaît un engouement populaire considérable […] enfin le choix de Charles-Henri Favrod, qui fut rédacteur à la Gazette de Lausanne, est excellent, non seulement il est très grand connaisseur mais il possède cette passion sans laquelle rien de grand n’est possible […] Ce double choix est aussi une aubaine pour la ville de Lausanne.» Deux mois plus tard, «le Musée de l’Elysée semble avoir trouvé sa vitesse de croisière. Cinq expositions pour un coup d’envoi magistral», écrit la Gazette qui rappelle la vocation du musée: la photographie du XIXe, les grands photographes du XXe, la jeune photographie et la recherche photographique. Et des collaborations avec des musées d’ailleurs.

1986 est festive. Expositions André Kertesz, Jacques-Henri Lartigue, Eugène Atget et Raymond Burnier, don de dizaines de photos de Robert Capa par son frère Cornell, qui fera le voyage de Lausanne pour inaugurer leur présentation, première Nuit de la photographie en juillet; cet été-là, Charles-Henri Favrod présente des photos qu’il aime dans la Gazette. Grâce au mécénat de la Migros, une première, l’Elysée organise une exposition consacrée à Libération, qui «réhabilite la photographie de presse» en en faisant «autre chose qu’un ornement secondaire ou un faire-valoir de notables»…

Au Comptoir suisse de 1987, l’Elysée occupe le pavillon d’honneur et reçoit plus de 200’000 visiteurs. Et les noms prestigieux affluent sous ses cimaises: René Burri, Sabine Weiss, Irving Penn en 1989…

Pour la première fois en 1991, Le Nouveau Quotidien, qui a noué un partenariat avec le Musée, évoque un Elysée «écrasé par son succès et en mal de locaux supplémentaires» alors que le «maître et seigneur des lieux se dit heureux», lit-on, toujours dans le NQ. Après un coup de projecteur sur la photographie nocturne («Pour mesurer le temps de pose je fumais des cigarettes. Une gauloise pour un certain temps de pose, une Boyard s’il faisait plus sombre.» Brassaï…), Charles-Henri Favrod montre des «photos choc», en abordant pour la première fois en Suisse le thème du sida. En 1992, les temps commencent à changer: les premières photographies numériques font parler d’elles. «S’il s’agit de création j’applaudis toujours. Mais dès le moment où la manipulation est au service d’une démonstration je suis inquiet, étant entendu qu’on peut faire dire à une image ce que l’on veut.»

Psychodrame

Visionnaire, le directeur de l’Elysée. Mais aussi vieillissant: ses presque 65 ans font qu’il peut être mis d’office à la retraite, écrit une dépêche ATS évoquant en février 1992 des «remous»: «Ce n’est pas le vieillard qui s’accroche mais ce musée n’est pas encore dans la situation où n’importe qui peut s’en emparer», plaide le directeur du musée, qui voudrait être prolongé. Qui regrette que malgré son succès, l’Elysée ne figure pas dans la loi vaudoise sur les activités culturelles. Son statut légal n’est pas sûr, même si le canton lui a accordé en 1991 2,1 millions de francs, à peine moins que les 2,2 millions du Musée des beaux-arts. Le nom de Pierre Keller, délégué vaudois au 700e, circule. Et la dépêche de signaler que sa venue éventuelle suscite «l’indignation» d’Ella Maillart, qui vient de léguer toute son œuvre à l’Elysée…

Le problème est que des trous ont été découverts dans la comptabilité: un demi-million de francs. «Favrod s’est montré désinvolte envers les budgets qui lui ont été alloués, écrit le NQ, toujours en février 1992. Pas trace de malversations. Dépenses hautement inspirées. Achat de collections photographiques qui enrichissent notre patrimoine et susciteront l’admiration des générations futures. Mais pour l’année 1990, il y avait un trou de 335 000 francs. […] Par malheur, la mésaventure budgétaire s’est répétée. L’ancien trou n’était pas encore bouché que, dans une lettre du 5 décembre 1991, Favrod révélait deux nouveaux comptes en souffrance, au total 676 000 francs. Le gouvernement vaudois dira sous peu s’il pardonne à un homme de haute intelligence et de vaste culture de n’avoir pas raisonné comme un fonctionnaire.» Quelques jours plus tard le quotidien parle d’une «Affaire de l’Elysée», et la conférence de presse que voulait tenir Charle-Henri Favrod est «interdite». Une pétition est lancée, Jean-Claude Godard offre 100 000 francs… «C’est un bobard de dire que l’Elysée est menacé de disparition», insiste le NQ. Un week-end portes ouvertes est organisé… Mi-mars le calme revient: Charles-Henri Favrod est reconduit pour trois ans, et doit remettre les compteurs à zéro pour 1993 (la somme est remboursée fin 1992, en grande partie grâce à des subventions publiques).

Une exposition Wim Wenders plus tard, nouveau coup dur: en mai 1992, le Grand Conseil vaudois refuse que le musée soit explicitement consacré à la photographie – il s’appelle toujours Musée de l’image depuis 1980. Parallèlement la photographie évolue. A la même époque, le Nouveau Quotidien présente le photo-CD de photo de Kodak. Cette même année, le musée accueille une exposition sur le temps des colonies, et 100 000 visiteurs durant l’année. «Lausanne devient la Mecque des amateurs d’art avec 11 musées» applaudit le NQ.

Psychodrame (bis)

Signe que quelque chose s’est brisé, la Nuit de la photo n’est pas organisée en 1993, à la suite de la défection d’un mécène qui préfère se concentrer sur l’inauguration du tout nouveau musée du CIO, et l’Elysée annonce une nouvelle formule pour 1994, moins onéreuse. «La culture s’isole» redoute le NQ. La même année, le musée accueille le premier sommet des gouvernements romands. Organise une exposition sur Robert Capa… en Grèce, sur l’île de Skopelos, et prête 170 de son million d’images à Leverkusen, pour «dérider les employés de Bayer» écrit le NQ. Fin 1994, le poste de Charles-Henri Favrod est mis au concours. Le NQ portraiture son bras droit, Philippe Lambelet, ou Chantal Michetti, une ancienne du Musée cantonal. Deux conceptions s’affrontent, photoreportage contre photo d’art. «Si une centaine de milliers de personnes passent chaque année le seuil de l’Elysée c’est parce que la photographie que l’on y montre parle au grand public, écrit le NQ, dans un éditorial qui s’engage aux côtés de Philippe Lambelet. L’Etat de Vaud ne peut faire de sa plus belle maison un cabinet intimiste.» Le ban et l’arrière-ban de la photographie européenne s’inquiètent publiquement quand, nouveau coup de théâtre, le canton remet finalement le poste au concours, alors que la nomination du candidat maison semblait acquise – on retrouve même l’annonce dans les pages Emploi du NQ.

C’est finalement un personnage hors du sérail romand, le Canadien Wlliam A. Ewing, qui est choisi, «un homme d’envergure et d’expérience, reconnaît le Nouveau Quotidien, fin octobre 1995. La fin brillante d’un long psychodrame.» «Son accueil a été glacial, par une équipe choquée, raconte ensuite le NQ qui rencontre le nouveau directeur quelques semaines plus tard, et il devra affronter une baisse de la fréquentation» – de 101 000 visiteurs au début des années 1990, on est passé à 34 600 en 1993. L’Hebdo en mars 1996 enfonce le clou: «Il va devoir affronter Philippe Lambelet, qui reste malgré le coup de Jarnac que lui a joué l’Etat de Vaud en invalidant sa nomination. Par l’intelligentsia vaudoise, car Ewing parle peu notre langue. Par des photographes suisses, la chapelle d’artistes préférés et les autres. Par le public. Par la presse, qui exhorte l’Elysée à publier les photoreportages qu’elle ne fait plus…» Mais la reprise de la Nuit de la photo dès 1996 est saluée.

Psychodrame (ter) (quater)

Le musée n’en a pas fini avec les coups de tonnerre. En guerre contre les autorités, suspendu provisoirement au sein du musée, Philippe Lambelet est inculpé de faux dans les titres, gestion déloyale, escroquerie et abus de confiance, et part en détention (il sera condamné en décembre 2000, au terme d’un procès qui montrera l’amateurisme budgétaire des responsables du musée). «Il a été victime d’un véritable harcèlement administratif, se désole son ancien mentor dans le NQ. Cela dit, l’accusation du canton de Vaud est terrible.» Deux ans plus tard nouveau coup de tonnerre: Charles-Henri Favrod, qui avait promis de laisser sa collection au Musée pour dix années renouvelables, reprend ses images. Lui et le Conseil d’Etat ne sont pas arrivés à trouver un compromis sur leur inventaire, et leur entreposage. L’ex-directeur estime à 30 000 photos sa collection quand le musée en compte 17 000: «William Ewing, le nouveau directeur du musée de l’Elysée, dénonce ici un conflit d’intérêts entre les activités privées et publiques de Charles-Henri Favrod, ce qui est contraire aux normes du Conseil international des musées, explique Le Temps, en octobre 1998. William Ewing se déclare entre outre las d’avoir à régler «les petites histoires» léguées par l’ancienne direction, notamment les plaintes des photographes qui n’ont jamais été payés pour leurs travaux.» Finalement, c’est à Florence, au sein du Musée Alinari, que termineront ses images.

On est en 2000. La deuxième vie du musée commence.

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