Photo envoyée par Marie-Dina Salvione

Si on devait lui trouver un surnom, on l’appellerait tout simplement «le maître des affiches». Au sein de la constellation qui fait rayonner le Musée de l’Elysée loin à la ronde, il est un peu l’Etoile du Berger, une lumière qui capte le regard des passants pour les inviter à être curieux, à venir visiter une exposition. Depuis que l’institution s’est spécialisée en 1985 dans la photographie, Werner Jeker a en effet conçu toutes ses affiches.

D’une exposition sur les Vaudois en 1983 à reGeneration4 au printemps 2020, il a signé plus de 120 créations pour l’Elysée. L’attachement des Lausannois – et plus généralement des Romands – au musée passe par son regard: nombreux sont celles et ceux dont les intérieurs sont illuminés par ses affiches. Suite à notre appel lancé l’automne dernier, Werner Jeker commente quelques-unes des photos que vous nous avez envoyées.

Impact graphique

Photo envoyée par Marie-Dina Salvione

«Il s’agit-là d’une image qui a une esthétique très forte. Cette photographie de Loïs Greenfeld se prêtait parfaitement à la réalisation d’une affiche. Celle-ci me rappelle cette anecdote: j’étais à New York lorsque Charles-Henri Favrod m’a téléphoné pour me demander de ramener à Lausanne les photographies de l’Américaine. J’ai alors pris l’avion avec ses tirages originaux dans ma sacoche! Ce serait inimaginable aujourd’hui, où tout est devenu extrêmement cher et compliqué.»

Composition harmonieuse

Photo envoyée par Alexandre Gross

«Comme Bill Brandt, Erwin Blumenfeld est aussi un super designer et graphiste – ils ont d’ailleurs tous les deux travaillé pour des magazines. Quand je regarde leurs œuvres, cela m’inspire. Quelques années auparavant, j’avais déjà fait une affiche avec une photo de Blumenfeld pour une exposition consacrée au magazine Vogue. En découvrant son travail, je me suis dit qu’il était un meilleur graphiste que moi… Comment, dès lors, ne pas gâcher ses images en faisant une affiche? Pour celle-ci, j’ai tenté d’intégrer le texte de manière harmonieuse, afin de ne pas faire concurrence à l’image. Pour l’Elysée, je n’ai jamais trafiqué une photo; je suis comme le garçon de café qui met la table et fait le service, tandis que le photographe est celui qui a cuisiné. Réaliser une affiche pour l’Elysée, ça me ressource. C’est comme écouter de la belle musique et laisser l’inspiration venir. Je n’ai jamais, comme pour d’autres projets, le cauchemar de la page banche. Je découvre une œuvre et je dois donner aux gens envie de venir la découvrir.»

L’exception Burri

Photo envoyée par Mélanie Arditi

«Ah! René Burri… J’ai beaucoup collaboré avec lui, et c’est l’exception qui confirme la règle quand je disais que je n’ai jamais trafiqué une image. Lui, il réclamait toujours que je retravaille ses images. Il a réalisé beaucoup de collages et aimait que j’intervienne de la même manière dans l’image avec le texte. Pour cette affiche, j’ai même utilisé deux photos qu’il a prises au Brésil pour réaliser l’affiche.»

Puissance de l’image

Photo envoyée par Frédérique Baïzid

«J’aime bien cet acteur, Matt Dillon; et bien sûr j’aime aussi beaucoup William Burroughs. Dans cette exposition consacrée au réalisateur Gus Van Sant, il y avait beaucoup d’images fétiches des années 1980. Repenser à cela me rappelle mes débuts, lorsque je faisais de l’illustration. J’ai eu la chance d’avoir comme maître de stage le graphiste Hugo Wetli, qui a réalisé des dessins pour le New York Times, le Sunday Evening Post our Fortune. Il était ami avec Tomi Ungerer, tout le monde se connaissait à cette époque. Il avait beaucoup de clients, et j’ai ainsi pu commencer à dessiner pour des éditeurs. A un certain moment, j’ai même commencé à faire des maquettes pour des journaux – j’ai notamment refait L’Illustré. C’est alors que j’ai fait connaissance avec des photographes et que je suis devenu sensible à ce médium qui m’a donné les clés pour devenir un bon graphiste. La photographie est tellement puissante que j’ai abandonné le dessin.»

Puissance de l’image bis

Photo envoyée par Alexandre Gross

«La photo de Don McCullin, à droite, est inouïe: on comprend vraiment ce qu’est la guerre. Quand je fais une affiche, je pars toujours de la puissance d’une image. Mais un bon photographe ne doit pas proposer que des coups de poing, il doit aussi nous apprendre quelque chose. Là, McCullin nous montre la tristesse dans les yeux d’un soldat, alors que certains préfèrent montrer des cadavres ou une explosion; je trouve que c’est une leçon fantastique. A gauche, la photo d’Anna Magnani par Herbert List montre aussi la puissance d’un regard, en l’occurence d’une actrice.»

Portrat vidéo: Werner Jeker, le roi de l’affiche

Ecrire un commentaire