©Eddy Mottaz / Le Temps

Fruit d’une réflexion qui a germé dans les anciens locaux du musée, le LabElysée pourra se targuer, comme sa structure-mère Photo Elysée, d’avoir réussi son déménagement. Cette foisonnante petite annexe dédiée aux arts numériques ouvre ses portes avec Anomalie, un parcours audiovisuel sur les OVNIS, réalisé à partir d’images d’archives compilées par l’artiste américain Tony Oursler. Entre fascination, psychose et scepticisme, l’exposition interroge les ressorts psychologiques à l’œuvre face à l’inconnu venu du ciel, au travers d’une multitude d’images qui ont contribué à faire de la photographie d’OVNIS un genre à part entière.

Du rail aux étoiles

Dans l’effervescence générale qui a marqué l’inauguration de Photo Elysée dans ses nouveaux murs, les visiteurs ont été nombreux à franchir les portes du bâtiment aux lignes épurées, pour venir découvrir le pôle muséal Plateforme 10 dans ses tout nouveaux atours. Nul doute que certains d’entre eux auront été interpellés après la visite de Photo Elysée par le renversement de perspective qu’offre le Lab: au tracé linéaire des voies ferroviaires succède le dilatement du ciel nocturne, le fourmillement des rencontres immortalisées dans les gares cède tout à coup la place à la solitude des grands espaces noirs.

«La continuité avec la thématique des trains, mise à l’honneur par Photo Elysée n’a pas été activement recherchée, mais elle s’est manifestée au fur et à mesure du travail de conception », sourit Manuel Sigrist, responsable numérique du musée. «Je dirais que le dénominateur commun entre ces deux expositions reste l’évasion, l’appel de l’ailleurs.»

Le numérique comme terrain de jeu artistique

Fort de son objectif d’explorer les rapports entre art et technologies nouvelles, le Lab conçoit ses expositions en collaboration avec des artistes – photographes, vidéastes, plasticiens – dont l’œuvre s’amuse des possibilités du numérique. Sans oublier toutefois de questionner sa responsabilité dans l’émergence de supports de communication qui permettent une diffusion «virale», soit quasi-instantanée et à très grande échelle.

«Oursler a fait beaucoup pour le numérique. Il s’est intéressé en particulier à la façon dont un fantasme collectif peut coloniser les technologies, passer d’un support à l’autre sans rien perdre de sa force, de ses fondations psychologiques», souligne Manuel Sigrist. L’artiste s’est ainsi adonné à un minutieux travail de compilation, réalisé sur plusieurs années, en répertoriant par le menu des centaines de clichés et de vidéos de phénomènes célestes paranormaux. Agencée dans le Lab avec un certain souci du spectacle, cette collection d’archives aboutit ici à une déambulation psychédélique, qui brouille volontairement les frontières entre science et croyance populaire. On y observe, pêle-mêle, des points noirs volants capturés à la caméra de fortune, de suspectes traînées lumineuses sur des photographies datées, de surprenantes silhouettes d’objets ressemblant en tout point à l’emblématique «soucoupe volante» si présente dans l’imaginaire collectif, et même quelques spécimens immortalisés par les objectifs de la NASA.

Prises essentiellement aux Etats-Unis, et pour beaucoup dans les années 1980, ces images et les réactions qu’elles suscitent se révèlent remarquablement peu influencées par l’air du temps. «Ces témoignages d’une existence extra-terrestre, authentiques ou fabriqués, ont leurs propres résonances, inquiétantes, à contre-courant d’une époque où le cinéma donnait à la science-fiction une couleur plutôt lyrique ou inoffensive, à la Star Wars, ou à la E.T.» Chaque cliché capturé trouve alors un formidable écho populaire, et même médiatique: en dépit du doute constamment jeté sur la véracité des images avancées, celles-ci sont immanquablement republiées dans la presse écrite, leurs auteurs invités sur des plateaux-télés, selon un mécanisme de diffusion façon «traînée de poudre» qui passionne Tony Oursler.

Une mythologie toujours vivace

Aujourd’hui encore, force est de constater que l’engouement pour les OVNI n’a pas faibli. «Le plus déroutant, c’est que la qualité des images qui se targuent d’avoir immortalisé un phénomène extra-terrestre ne s’est pas améliorée, en dépit des progrès de la technologie», relève Manuel Sigrist. «On est toujours face au même type de contenu, en 1950 comme en 2020: des photos de qualité très médiocre, des vidéos très pixélisées, où on devine plus qu’on ne reconnaît l’OVNI en question.» Et pourtant. A chaque nouvelle «preuve» de vie extra-terrestre, aussi ténue soit-elle, on assiste à un emballement général des réseaux sociaux, qui donne à penser que l’alien, autre jusque dans son étymologie, a conservée intacte sa puissance d’évocation.

La science, en avançant, met paradoxalement en évidence des recoins que la lumière n’a pas encore atteints. Et c’est précisément parce qu’il croît dans les zones d’ombre de la science que le fantasme de «l’inconnu volant» engendre la même fascination anxiogène à travers les époques. Troublantes, effrayantes ou franchement naïves, les images compilées par Oursler rendent avant tout hommage à une mythologie foisonnante qui a su s’emparer du numérique pour continuer d’irriguer l’imaginaire collectif.

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