Marco Solari photographié sur le tapis rouge du Locarno Festival 2021. ©Urs Flueeler/Keystone

Président du Locarno Film Festival, Marco Solari salue la manière dont Plateforme 10, à l’instar de la manifestation cinématographique tessinoise, est animé par un désir de regarder vers l’avenir.

Il n’y a pas de création sans passion. C’est la passion qui pousse les hommes à penser, à développer une idée, à réussir. On vous enseigne à l’université «strategy before people», la stratégie avant les gens, mais c’est faux, archifaux. Ce sont les personnes et toujours les personnes qui font la différence ; les hommes, les femmes, avec leurs compétences, leur charisme, leur feu sacré.

J’étais un jeune délégué du Conseil fédéral pour le 700e anniversaire de la Confédération suisse quand j’ai rencontré Charles-Henri Favrod. Il exigeait avec véhémence que sa création, son musée, celui de l’Elysée, soit inclus dans le programme des festivités. Il y avait dans ses yeux une étrange lumière et dans son langage une intensité que je n’ai jamais pu oublier. Oui, l’homme était controversé, il avait ses secrets, son action politique était discutée, les moyens utilisés peut-être problématiques et ses querelles avec l’officialité étaient réelles ; oui, mais il avait réussi à créer un musée exceptionnel.

Quelques années plus tard, on m’a demandé de faire partie de la Fondation de l’Elysée. J’ai accepté. Garder la réputation d’une institution internationale n’est jamais facile. Le Musée de l’Elysée, devenu aujourd’hui Photo Elysée, a réussi et continue à réussir ce pari.

Chaque fois que je venais de Locarno à Lausanne, je voyais dans les yeux des excellents directrices et directeurs, des administrateurs, des responsables politiques vaudois, cette même passion qui m’avait frappée lors de ma première rencontre avec le fondateur du musée. Quelle pouvait en être la raison ? La fierté d’être à la tête d’une institution reconnue mondialement, mais sûrement aussi l’extraordinaire pouvoir de l’émotion que l’image sait toujours transmettre.

Voilà les premières analogies avec le Festival du film de Locarno, manifestation créée en 1946, et qui défend avec acharnement les valeurs du Siècle de lumières – la liberté et la dignité de l’homme, qui connait et prend ses responsabilités vis-à-vis de la société. Locarno est un festival qui, à l’instar de Photo Elysée, est né de la passion et a su développer cette passion.

Notre festival fête cette année ses 75 ans et continue à être animé par la volonté de ne jamais s’arrêter, de rester dans un état d’inquiétude permanente, de regarder toujours en avant en acceptant tous les défis que posent à l’image la digitalisation, les algorithmes, l’intelligence artificielle, le metaverse et les mondes virtuels ; notre festival analyse constamment le rapport des jeunes et des toutes jeunes générations à l’image. Dans son bâtiment central, le PalaCinema, il y a une école, le CISA (Conservatorio internazionale di scienze audiovisive). Ce magnifique édifice n’est donc pas seulement administratif, mais aussi lieu de rencontre entre les générations. C’est la deuxième analogie avec Photo Elysée et Plateforme 10.

Par une intuition géniale (le mot est approprié), ce nouveau pôle muséal a été construit à côté de la gare. La personne qui a eu l’idée mérite la plus haute distinction nationale. Quelques-uns parmi les meilleurs architectes du monde ont construit une vraie plateforme de l’émotion. La forme est toujours son contenu et vice-versa. Ici, c’est une sublimation de la forme, une réussite totale.

En tant que président du Locarno Film Festival, j’espère que nous pourrons avoir dans le prochaines années maintes occasions de collaborer avec Plateforme 10, et notamment Photo Elysée, à l’image des trois jours de projections qui viennent d’être organisés et ont transformé le pôle muséal en Piazza Grande – une première hors du Tessin. J’espère également que les jeunes générations futures, celles qui pour rappeler Hugo et Proust se retrouveront sur l’herbe qui pousse, «l’herbe drue des œuvres fécondes et qui viendront faire gaiement et sans souci de ceux qui dorment en dessous, leur déjeuner sur l’herbe», réaliseront leurs projets. Et construiront leurs cathédrales avec ce même feu sacré et cette même passion qui hier et aujourd’hui rapprochent Locarno et Lausanne, ces deux pôles des émotions.

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