Sylviane Amey dans la librairie commune à Photo Elysée et au mudac sur le site de Plateforme 10. ©Olivier Vogelsang pour Le Temps

Attablée dans un recoin tranquille de la lumineuse librairie de Photo Elysée, Sylviane Amey sort de son sac plusieurs catalogues d’exposition, dont elle tourne les pages avec une délicatesse empreinte de fierté. L’amour du beau livre, cette Neuchâteloise d’origine le porte en elle depuis le temps de ses études d’histoire de l’art à l’Université de Lausanne, au cours desquelles elle découvre le milieu de l’édition. C’est à Paris qu’elle se rend ensuite pour approfondir ses connaissances en politique éditoriale. Là, elle fait ses premières armes chez des éditeurs spécialisés dans le livre d’art, avant de revenir en Suisse lorsque Photo Elysée lui confie le poste de responsable des éditions du musée, une fonction qu’elle occupe depuis fin 2020.

Si le musée a toujours disposé d’un pôle dévolu à la conception et à la promotion d’ouvrages, ce dernier fait l’objet depuis quelques années d’une réelle mise en valeur. En témoignent les quatre postes dédiés à l’édition, la librairie, la bibliothèque et la numérisation d’ouvrages, couplés à une professionnalisation de la sphère éditoriale, à la tête de laquelle Photo Elysée souhaite désormais placer des spécialistes de l’édition possédant de solides connaissances d’histoire de l’art – plutôt que l’inverse.

Des catalogues qui survivent aux expositions

C’est sur ces entrefaites qu’arrive Sylviane Amey. Sa mission: coordonner la publication des ouvrages destinés à mettre en avant entre autres les collections de Photo Elysée, en particulier les catalogues d’exposition. Chaque nouveau projet artistique au sein du musée donne lieu en amont à des rencontres avec la directrice et les commissaires.

L’enjeu de l’édition se situe au-delà d’uniques considérations lucratives, et les raisons avancées frôlent curieusement le questionnement philosophique. Outre le rayonnement que les publications confèrent à Photo Elysée, se pose en effet la question de l’impermanence, avec laquelle doivent composer les lieux d’expositions temporaires. «Une exposition est une proposition artistique éphémère, que le catalogue permet d’ancrer dans le temps. Il est tout ce qui reste d’une exposition une fois que celle-ci a vécu. En ce sens, il s’agit d’un témoignage fort, d’un objet investi d’une signification particulière.»

Le travail d’édition par le menu

Une fois qu’a été prise la décision d’éditer un livre, le compte à rebours s’enclenche: il faut chercher un éditeur, choisir un graphiste, monter un modèle économique, coordonner le suivi de la mise en page, des corrections, des éventuelles traductions en langue étrangère. Le tout en veillant à rester dans les délais et prévenir tout contretemps, car l’envoi en impression n’est généralement lancé que deux à trois mois avant le vernissage de l’exposition.

Nombre de catalogues ont été publiés en collaboration avec les éditions Noir sur Blanc. La parution du catalogue de l’exposition monographique à venir, dédiée à Josef Koudelka, verra le jour sous l’égide de la maison d’édition vaudoise dirigée par Vera Michalski. Serait-il envisageable pour le musée d’assurer lui-même la publication de ses œuvres et de se passer d’éditeur? «C’est arrivé qu’on prenne entièrement à notre charge le processus d’édition, mais ça reste très rare. En soi, l’impression ne pose pas de problème majeur, mais c’est la commercialisation qui devient difficile dans ce cas-là. Notre structure n’est pas celle d’une maison d’édition et il nous manque par conséquent tout le réseau de diffusion et de distribution, qui sont assurées par les équipes commerciales des éditeurs.»

S’adresser au jeune public

Outre les catalogues, Photo Elysée a développé pour son inauguration quatre livres pour enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de lecture. Intitulée La photo pour les enfants, la collection a été imaginée par Sylviane Amey en partenariat avec les éditions Keribus à paris et Nicolas Rouvière, éditeur et auteur.

Chaque ouvrage se présente sous la forme d’un leporello, ou livre-accordéon. A l’intérieur se déploie une sélection de huit images ou seize dans le titre Colliers, reliées par un fil narratif ténu: quelques mots tout au plus, qui donnent une cohérence à la suite de photographies. L’économie de texte s’explique évidemment par le très jeune âge de l’enfant, qui pourra aisément ignorer les lignes pour se concentrer exclusivement sur les grandes images qui parent le livre. L’objectif recherché avec cette collection n’est pas d’instruire l’enfant sur l’art de la photographie. Ces ouvrages n’ont pas été conçus comme des supports pédagogiques, mais plutôt comme des théâtres d’images, qui invitent à rêver.

Capter les longueurs d’ondes propres à chaque teinte

Les photographies de chaque livre s’articulent autour d’un univers thématique différent. Après Cabane et Fleurs, deux autres titres sont en préparation, qui exploreront deux autres constellations de sens: Colliers et Chute. Des quatre ouvrages, Fleurs est sans doute le plus surprenant, avec son éventail de photographies du XIXe siècle présentant des couleurs au réalisme confondant. Facéties chromatiques ajoutées en post-traitement? «Pas du tout, s’amuse Sylviane Amey. Les teintes sont originales, aucune photo n’a été retouchée. Il s’agit d’un procédé de reproduction de la couleur qui a vu le jour à cette époque-là, mais a rapidement été abandonné pour sa complexité.» Le procédé Lippmann, du nom de son inventeur, consiste en effet à capter les longueurs d’ondes propres à chaque teinte et à les enregistrer dans la plaque photographique. Le procédé permet ainsi une reconstitution complète de la gamme chromatique sur l’image finale.

Fleurs s’ouvre sur un perroquet occupé à dévoiler insolemment ses plumes, colorées à la Lippmann. Voleur de bouquets, le voilà condamné à perdre ses belles couleurs en guise de punition. A la fin du récit, on retrouve donc la même image du volatile… en noir et blanc. Il va sans dire que cette dernière image correspond bien plus à l’idée qu’on se fait d’une photo prise il y a 130 ans. «C’est pourtant cette photo-ci que notre graphiste s’est amusé à retoucher, sourit Sylviane Amey. Aussi curieux que cela puisse paraître, c’est le cliché en noir et blanc qui a été modifié, et non le cliché en couleurs.» Quoi de plus approprié qu’un livre pour enfants dont le récit rappelle subtilement que l’image est là pour qu’on en joue, qu’on la déjoue, qu’on s’amuse enfin de toutes les possibilités créatrices qu’elle a à nous offrir.

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